Rien de tel dans Eux
et moi (Stéphane Breton, 2001), prix des Ecrans documentaires,
catégorie phare dotée notamment d’un chèque de 3000 Euros.
Dans ce film tourné par un ethnologue qui revient équipé d’une
caméra sur le lieu de ses recherches, en Papouasie-Nouvelle-Guinée,
on assiste d’emblée à un événement. L’homme en pagne filmé de
dos dans la forêt se retourne soudain vers le cinéaste et lui
demande, en langue locale, s’il aime les “bananes grillées”.
Irruption soudaine, dans une relation que l’on croirait extrêmement
lointaine, du très commun, du très partagé. La force du film
de Breton réside peut-être dans cette proximité de relation,
dans cette capacité à se laisser faire, parfois même à se laisser
berner. En s’intégrant dans un circuit d’échanges où il achète
à prix d’or des coquillages à la valeur symbolique toute proclamée,
il parvient à faire accepter sa présence sinon comme normale,
du moins comme économiquement utile. Et c’est cette présence
qui devient le sujet du film. Si la caméra se retourne alors
vers l’auteur, ce n’est pas par narcissisme psychotique. C’est
au contraire pour renouveler une démarche ethnographique qui,
à rebours de ses tendances historiques, s’intéresse désormais
au regard que le peuple visité porte sur l’ethnologue.
Mais la plus belle réussite réside sans doute dans le lauréat
du Prix formations, doté de 750 Euros : Detto Trasporto
(Margherita Caron, 2001), produit dans le cadre de l’Ecole nationale
supérieure des Beaux-Arts. À travers le voyage de Claudio, prenant
le bateau pour ramener, de Rome à son île natale de Salina,
les cendres de son défunt frère, on assiste à une surprenante
réminiscence de l’enfance. Le rythme des vagues sur la mer,
les paysages rocheux des montagnes surplombant le village, la
caméra se rapprochant plan par plan du visage de Claudio comme
pour mieux le sonder, forment le cadre audiovisuel de son bouleversement
mental. Prononcées en voix off sur un ton laconique,
quelques longues phrases font ressurgir le bonheur enfantin
des années cinquante, mais elles le rendent aussi dérisoire
quand il vient se heurter à la réalité du présent.
Ce film d’études prend alors toute sa valeur d’essai documentaire,
explorant le réel pour en donner à voir la partie invisible,
et non pas visible ; en faisant toucher du doigt l’indicible,
au lieu d’en commenter le dicible. Il contribue par-là à définir
un genre qui, se proclamant ou non “de création”, en vient à
rendre compte du réel d’une manière à la fois spécifique et,
surtout, bien plus prégnante que le simple reportage télévisé.