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George A. Romero (c) D.R. RETROSPECTIVE
GEORGE A. ROMERO

Contes de la folie ordinaire
Par Cécile GIRAUD
 

  Martin (c) D.R.
Mardi 27 novembre 2001. Dans le froid tiraillant, une file s'étire devant la salle de la Cinémathèque Française des Grands Boulevards. La salle des séances de Cinéma Bis, du cycle Sade au cinéma… Bref, quelle autre salle aurait été mieux indiquée que celle-ci pour voir débarquer George A. Romero et ses monstres du quotidien… Après de longues minutes d'attente, la patience et la passion de notre étrange population d'amateurs de cinéma fantastique (encore essentiellement masculine…) étaient sur le point d'être récompensées : George A. Romero, accompagné de son opus Martin atterrissaient enfin dans une salle bondée et surexcitée par cette rencontre atypique, qui promettait d'être riche en questionnements, et, je l'espérais, en réponses… L'arrivée du cinéaste fut en effet teintée d'étrangeté : George A. Romero est un personnage singulier, qui semble avoir arrêter le temps dans les années 70. Très grand, mince et dégingandé, l'homme ne semble pas être totalement à l'aise avec son corps, particulièrement lors de ce genre de réunion. Il cache son visage sous une barbe et une paire de lunettes étonnantes qui lui mangent les joues et lui donnent un air de mouche. On comprend son embarras, son malaise, devant la horde de spectateurs bravant le froid, la pluie et la nuit, lui dont les films ne sont distribués que dans les drive-in américains. Il nous émeut, comme le personnage titre de son film, Martin, jeune homme qui se construit un monde à défaut d'en trouver un prêt-à-l'emploi… Il nous dit sa joie et son émotion, on sent une certaine amertume venue de ses années à combattre sans faillir. Le film commence, Martin nous entraîne dans sa Transylvanie. Grisés, on voudrait entendre les mots du Maître. Malheureusement, nous n'en saurons pas plus que les spectateurs des drive-in, pour peu qu'ils s'intéressent au film. Romero a dévoilé un peu de l'homme, par bribes, mais le cinéaste ? Qu'en est-il réellement de la misanthropie plus ou moins avouée d'un homme qui a tout de même dévoilé une sensibilité à plusieurs dizaines de personnes ? L'avons-nous quelque peu réconcilié avec une nature humaine, qui sans être foncièrement méchante, ne parvient qu'à s'autodétruire ?

La destruction, la mort, sont bien l'apanage des films de George A. Romero, envers et contre tout, envers et contre tous, même ceux qui les refusent, surtout ceux qui les refusent…Comme dans la majorité des films d'épouvante, les monstres et autres calamités sont le symptôme d'une société malade, mais contrairement à ces derniers, la critique de Romero est le plus souvent ouverte. Martin, le film présenté ce soir-là en est symptomatique, et sans doute plus radical que ses autres opus, puisque Romero semble prendre un plaisir teinté de tristesse à démystifier le genre dans lequel il travaille pourtant : le film d'épouvante fantastique.

La Nuit des morts vivants (c) D.R.

Martin est un jeune vampire. Comme dans tout bon film de vampire, les victimes sont jeunes et belles, le Mal est confronté au Bien, crucifix et incantations vont de pair… Mais la caractérisation principale du vampire est belle et bien absente et tiraille notre apprenti vampire. Point de sortilège sensuel, d'envoûtement, de charme, de corps désirants. Nous ne sommes pas effrayés ici par l'effarant consentement de la victime, le pouvoir hypnotique du vampire. Romero nous dit dès les premières images : " Je travaille le réel, et dans le réel, les vampires n'existent pas, mais l'humain oui ", le Mal n'est pas envoûtant, il ronge son porteur aussi bien que sa victime, il n'est surtout pas là où on le croit… Il n'est rien par rapport aux artifices qu'on déploie pour l'éliminer. Le spectateur, d'abord le souffle coupé, souffre avec Martin, et son incapacité à devenir tout à fait vampire, ou tout à fait homme. C'est surtout la conscience douloureuse du personnage, l'ironie qu'il cultive envers son état, et envers la société qui vous saisit tout entière. Sans doute voit-il en même temps que nous le ridicule de ses stratagèmes, de sa difficulté à endormir sa victime, à lui percer les veines, et surtout le ridicule de la pseudo sensualité qu'il instaure, une sensualité morbide. Par l'ironie du sort, le vampire est impuissant…Ce n'est que lors du recouvrement de sa virilité qu'il pourra enfin se stabiliser, sans avoir besoin du sang pour s'affirmer. Qu'est-ce qui pousse Martin à cette entreprise fastidieuse ? Il mange en compagnie de sa famille, ne craint pas la lumière du soleil, il désigne lui-même les attributs du vampire (cape, dents…) comme purs artifices. Le monstre n'est peut-être vivant que parce qu'on cherche à le détruire… Ironique jusqu'au bout, Romero fait en quelque sorte gagner le Bien en le transformant en Mal : c'est pour un crime qu'il n'a pas commis que Martin est tué d'un coup de pieu dans le cœur. L'Amérique profonde et ses valeurs religieuses sont présentées là dans toute leur splendeur.