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Festival du court-métrage de Clermont Ferrand 2002 (c) D.R. FESTIVAL DU COURT-METRAGE
DE CLERMONT FERRAND 2002

5 Coups de Coeur
Par Gilles LYON-CAEN




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LOUP !

  Loup ! de Zoé Galeron (c) D.R.

Réalisatrice : Zoé Galeron, Scénario : Zoé Galeron, Production : Bénédicte Couvreur et Jérôme Dopffer, Image : Olivier Bertrand, Montage : Amrita David, Son : Jérôme Florenville, Année : 2001, Pays : France, Durée : 22 min, Sélection : française, Prix : Canal +

Hémorragie du désir

Loup ! de Zoé Galeron s’inscrit dans la mouvance essentielle du court-métrage français d’aujourd’hui estampillé Canal +, le film fantastique et d’angoisse, en droite ligne de Trouble Every Day, de Claire Denis. Une veine scindée en deux composantes symboliques, entre Loup ! qui halète, vocifère ou attaque de plein front, et Reptile, autre production Canal + signée Pascal Stervinou, son versant opposé, plus anecdotique, qui ne cherche qu’à faire fondre l’intriguant dans le décor en usant d’effets spéciaux.

Ferdinand est photographe. Il se rend dans une petite station balnéaire pour faire des photographies du mariage de Lucie. L’angoisse progressive naît moins de l’étrange secret gravitant autour de la jeune femme, enceinte et esseulée, que dans la pulsion viscérale, le désir orageux qui les aimantent l’un à l’autre. Comme dans Trouble every day, le désir transparaît d’un mal et d’une rage informes, virus transmis par infiltration veineuse, sexuelle : contagion malsaine et analité monstrueuse qui culminent dans le viol cannibale de l’autre.

Sous le grand chêne d’une forêt noire, Lucie cache sous sa robe de mariée Ferdinand, pris en chasse par les villageois à la suite de la disparition d’un enfant. On assiste, lors d’un plan dont la composition picturale joue sur le dessous et le caché, le transgressif et le mélange du merveilleux et de l’horreur, à la mise au monde de l’homme enfanté par Lucie, se propulsant doucement hors de la grande robe blanche ; monstre procréé par la nature et recréé par la figure matricielle de la femme. La presqu’île de la forêt devient le théâtre d’une mutation humaine que parachève, dans sa phase terminale, la traque et la faim, dévorante, d’un enfant. Qu’est-ce que Loup ! ? Le récit d’un manque et de son dépassement - carnivore. Et encore : le mariage des contraires entre l’immaculé et une furie sanguinaire portée à incandescence. De cette césure incolore jaillit l’effroi.

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MONSIEUR WILLIAM OU LES TRACES D’UN POSSIBLE


Monsieur William ou les traces d'un possible de Denis Gaubert (c) D.R.

Réalisateur : Denis Gaubert, Production : Antoine Roch, Scénario : Sarah Sobol et Jean-Christophe Sanchez, Son : Julien Ngo-Trong et Gwwal Coïc, Année : 2001, Pays : France, Durée : 25 min, Sélection : française et internationale


Poétique de la mémoire

Denis Gaubert signe avec Monsieur William, l’œuvre la plus troublante et innovante du festival, à travers l’expérimentation d’un palimpseste. Des films de Gaumont utilisés comme images initiales, Gaubert efface le sens initial. Un homme est interné à l’hôpital de Richmond dans le service de neurologie du Dr Glass avec cette note : " Abandonné, confus et désorienté, identité inconnue ". Les infirmières le baptisent Monsieur William. Dans son entreprise voisine du found-footage, qui a pour valeur poétique de retravailler la durée et la pellicule de films préexistants, dans un travail commun de suspension de l’origine et de médecine de l’image, Monsieur William draine un questionnement sur l’identité, la provenance des images : il s’agit moins de fonder une intrigue à partir d’un matériau originel de photographies ou de films amateurs, que de réactiver la mémoire perdue des images. Monsieur William apparaît à la fois comme le passeur et le passage des images, médium amnésique qui doit retrouver la mémoire. Dans leurs crises hypermnésiques, les fous perçoivent des images : celui-ci revoit-il son passé ou est-il fou ? Denis Gaubert interroge en filigranes l’idée de transfert et de folie : ici, les transferts mentaux des images déterminent la véracité des souvenirs. La mémoire des images transmet aussi la mémoire des visages de Monsieur William. La voix restitue des fragments de souvenirs, la mémoire perdue est restituée en images de lieux.

Les lieux incarnent les traces d’une vie possible ou hallucinatoire. Les extraits du journal du Dr Glass lus en voix off, ponctués de chansons de Gainsbourg ou Ferré, dressent un état des lieux du patient, dans une déconstruction de son " enfer mental ". Des enfants sautent sur place, dans le vide d’un espace blanc, surexposé à la lumière. Une boucle d’image lancinante qui comble un vide et devient pourtant obsédant, mémorable. Les défaillances de Monsieur William, atteint d’une angoisse et d’un mal irréversibles, se fondent dans des espaces désaffectés (halls de gare, " labyrinthe d’appartement vide "). Passages parisiens, parfums de parquet ciré, vues d’animaux du zoo de Vincennes et sourires d’inconnues révèlent, enfouie dans l’écrin personnel de Monsieur William, la beauté perceptive des espaces mentaux, que recrée sa mémoire intermittente. Entre le flicker suspensif (battements d’images) qui obstrue la narration et les boucles de réminiscences mentales, ce continuum magique laisse percer la lumière d’un cinéma perdu et retrouvé.