Le festival du film
de La Rochelle continue sur sa lancée après
le remplacement de son fondateur Jean-Louis Passek par une
équipe 100 % féminine, Prune Engler et
Sylvie Pras. Situé pendant la période particulière
et stratégique du début des grandes vacances,
tout dans la ville, l’une des plus touristiques de France,
est là pour nous le rappeler : l’agitation, le
nombre de commerces et de restaurants, les animations, la
foule des touristes (heureusement ils ne s’amassent pas tous
au festival), précédant de quelques jours la
grand-messe annuelle des Francofolies (qui évidemment
attirera bien plus de monde), cette manifestation reste à
taille humaine et dégage un parfum de décontraction,
de " vacances ", une ambiance plutôt
passionnée mais dénuée de toute pression
(il n’y a pas de prix ici, juste des hommages).
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À la Rochelle, l’heure
n’est pas à la querelle ! On honore Juliette Binoche
et Karel Zeman, le cinéaste tchèque spécialiste
de films d'animation. Les sélectionneurs se sont même
arrangés pour donner satisfaction à tout le
monde, en premier lieu aux deux grandes chapelles de la cinéphilie
française représentées par Positif
et Les cahiers : un hommage à Rosi pour
le premier (cf. Le dossier Rosi par Michel Ciment),
une rétro Sirk plutôt pour les seconds (qu’on
se souvienne des articles délirants de JLG sur les
mélos de Sirk). La vocation du festival n’est donc
pas de montrer des nouveautés absolues, mais plutôt
de faire le point sur l’année cinéphile, en
reprenant une moisson de films projetés dans différents
festivals (à commencer par celui de Cannes) dans le
cadre d’une programmation nommée " Le monde
tel qu’il est ". Occasion pour certains, dont moi,
de rattraper les nombreux films manqués sur la Croisette.
À cet axe contemporain,
s’ajoutent surtout de nombreux hommages et rétrospectives.
À ce sujet, saluons tout de suite la magnifique programmation
Trésors muets du cinéma japonais, qui permettait
de découvrir de vraies raretés parmi lesquelles
des perles. On y retrouvait les grands noms du cinéma
classique japonais : Mizoguchi, Ozu et son superbe Gosses
de Tokyo et deux splendides Naruse : Bon
courage Larbin et Rêve de chaque nuit. Ce
qui fait dire à Antoine de Baecque, sorte de chroniqueur
officiel (Libé est partenaire) qu’il s’agit
là d’un festival ultra cinéphile.
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Dilemme redoutable et habituel
dès qu’on arrive à un festival aussi fourni :
que voir ? que choisir ? un Rosi, un Sirk un Sissako,
un Mizogushi muet… ? Mon choix se porte sur le film projeté
dans la grande salle de la coursive, qui fait office de palais
du festival : Mon Oncle de Tati. Je ne prends
pas de risque, mais après la projection de Playtime
à Cannes, je suis particulièrement curieux de
revoir ce film célèbre, qui le précède
et l’annonce. En effet, il y a une continuité évidente
entre les deux films, à travers le thème de
la modernité et du développement technique.
Simplement, en neuf ans, Tati a opéré un changement
d ‘échelle : il passe du microcosme au macrocosme,
du privé au collectif, de la cellule familiale à
la ville-monde (le village global).
Mais Mon oncle a
aussi un lien avec le film précédent, les
vacances de M. Hulot, grâce au thème de l’enfance
(exclue de Playtime). En effet, comme l’indique le
titre, Mon oncle adopte le point de vue de l’enfance.
M.Hulot est complice du petit Gérard de même
qu’à la fin des Vacances, il reste sur la plage
désertée en compagnie des enfants, ses seuls
vrais compagnons. Il n’est lui-même qu’un grand enfant
perdu au pays des adultes : rêveur, timide, flâneur.
Mon oncle nous montre un personnage parfaitement inadapté
au monde moderne en tant que monde du travail, des profits,
de la réussite, du confort, de la respectabilité
bourgeoise. M. Hulot est un chômeur magnifique, qu’on
ne parvient pas à faire travailler normalement (De
même dans Playtime, il cherche du travail et
se rend a des entretiens). Au fond, cette part d’enfance est
porteuse d’un sens politique discrètement subversif
et contestataire, culminant dans une vision satirique et étonnée
de la modernité.
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