Après le Tati,
va pour un Sirk. On projette Tout ce que le ciel permet
(1955) dans la petite salle bleue de la coursive. C’est
avec Rock Hudson bien sûr, acteur fétiche de
Sirk, et Jane Wyman. La vision du film confirme avec force
que Sirk est un styliste patenté, aimant les couleurs
vives et les mouvements d’appareil expressifs, un inventeur
de formes qui, de ce point de vue, va avoir une certaine influence.
Qu’on pense à Fassbinder bien sûr, qui fut son
élève à Munich, ou, plus proche de nous,
à François Ozon. Ainsi, il m’a semblé
que certains éléments ultra stylisés
du décor de Tout ce que le ciel permet, une
neige de studio entourant la maison de Rock Hudson
ou bien la voiture rose bonbon de l’héroïne, se
retrouvaient dans le décor très théâtral
de Huit Femmes (dans le même registre, je ne
résiste pas à l’envie de citer l’hallucinant
téléphone rose utilisé par Lana Turner
dans Imitation of life).
Quant au contenu, c’est
bien sûr un mélo : à savoir une histoire
d’amour confrontée à un double obstacle :
la différence d’âge et la différence de
classes. Cary Scott, une veuve, mère de deux enfants,
tombe amoureuse du jeune Ron Kirby, son jardinier, qui vit
solitaire dans une maison dans les bois. Leur liaison fait
jaser et suscite même la réprobation. Sirk se
livre à une satire assez féroce de la petite
bourgeoisie provinciale américaine des quartiers pavillonnaires
et de sa mentalité terriblement étroite et conformiste.
De fait, Cary Scott est une femme prisonnière de son
milieu (le pire dans le conformisme n’étant personne
d'autre que ses propres enfants), qu’on n’empêche de
choisir librement sa vie de femme. Rock Hudson, quant à
lui, campe un homme indépendant et solitaire, qui a
décidé volontairement de vivre à l’écart
de la société. Beaucoup plus cultivé
qu’il en a l’air, il vit en accord avec les principes de Thoreau,
qu’il lit avec assiduité. Signalons enfin que dans
ce mélo à l’issue heureuse (on suppose que Rock
Hudson va se remettre de sa chute), il y a des images d’un
tel kitch, d’une telle mièvrerie, qu’on est forcé
d’admettre que, de la part de Sirk, il s’agit de second degré
(Ainsi l’image finale de la biche venant au chevet d’Hudson
blessé…). Quoique…
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Le second Sirk que j’arrive
à voir est plus connu : le très beau Ecrit
sur du vent (1956), exemple type du mélo flamboyant
en technicolor. On y retrouve Rock Hudson, entouré
de Lauren Baccal et de Robert Stack. L’histoire est digne
d’un épisode de Dallas ou de Dynastie :
elle se déroule dans les milieux huppés du pétrole
au Texas, et relate une tragédie familiale convoquant
haines familiales, désirs, jalousie, rivalité,
trahisons etc. Encore une fois, Sirk ne lésine pas
sur les moyens et les ingrédients et s’en donne à
cœur joie. Mais il transcende brillamment le genre, tout d’abord
en donnant au récit une certaine complexité
narrative : il s’agit d’un récit en boucle, où
la fin de l’histoire constitue la première scène,
reprise à nouveau à la fin du film, mais avec
quelques subtiles variations introduites par le cinéaste.
Mais là où
Sirk excelle dans ce film, c’est dans la peinture des rapports
humains, très complexes, et des caractères.
Ce, grâce à une palette extrêmement variée
d’émotions et de sentiments, parfaitement rendus par
des acteurs admirables, où l’on sent l’influence de
la psychanalyse (complexe d’infériorité par
rapport au père, fantasme castrateur d’où la
stérilité du personnage de Robert Stack…). Enfin,
plus que jamais, une stylisation extrême de la forme
se manifeste dans les couleurs, les objets, les éclairages,
les mouvements de caméra, la musique. Le lyrisme exacerbé
de Sirk ne peut qu’appeler un expressionnisme de la mise en
scène.
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Pour finir, dans la rubrique
Nouvelles Images (qui comprenait un ensemble de séances
spéciales axées sur la vidéo), je me
suis laissé tenté par les vidéos de Valérie
Mréjen, jeune femme talentueuse, vidéaste, cinéaste
et écrivain, qu’elle a tournées entre 1997 et
2002 avec une caméra achetée grâce a son
salaire d’un travail effectué au festival de la Rochelle !
C’est l’occasion de s’écarter un peu de l’agitation
de la coursive, de s’éloigner un peu du port et pénétrer
dans la ville, goûtant le charme de ses ruelles et de
ses vieilles pierres, pour arriver au lieu de projection :
la chapelle Fromentin, beau bâtiment XVIIe. On nous
emmène en haut dans une toute petite salle où
la trentaine de personnes présentes trouvent une place
comme ils peuvent.
Ces vidéos relèvent
d’un cinéma domestique, on ne peut plus modeste et
minimal ; d’une certaine façon, sans nuance péjorative,
c’est le degré zéro du cinéma puisque
Valérie Mréjen filme face caméra, en
plan fixe, des gens qu’elle connaît (amis ou gens de
sa famille) et leur invite à raconter une histoire
brève ou un court souvenir. Sur l’écran, cela
se traduit par une succession de petites saynètes,
souvent drôles, parfois sombres, toujours tendres. Ces
petits récits mis bout à bout, hors contexte,
finissent par créer un climat absurde et décalé
dans un contexte on ne peut plus quotidien et banal. On attend
le prochain film de Valérie Mréjen.
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