Annuaire boutique
Librairie Lis-Voir
PriceMinister
Amazon
Fnac

     



 

 

 

 

 
Nicolas Philibert (c) D.R. RENCONTRE AVEC
NICOLAS PHILIBERT
ET GEORGES LOPEZ


Cinéma Le Palace
Epernay
Par Richard DALLA ROSA


ETRE ET AVOIR …

La salle est comble : c’est le premier indice de cette soirée qui s’annonce sous le signe d’une belle réussite. Nous sommes le jeudi 5 septembre 2002, en plein période de rentrée scolaire. Ce soir, l’instituteur du film entre dans une nouvelle période de son existence, la retraite. L’aventure du documentaire entérine avec brio sa carrière pédagogique, et la vie continue. De lui, nous ne saurons presque rien, hormis l’importance de sa présence auprès des enfants qui auront vécu la même histoire filmée, sans compter tous les autres qu’il a guidés à travers ses années d’enseignement.

  Etre et avoir (c) D.R.

A l’heure du sensationnalisme où tant d’autres mots en -isme règnent sur notre chère société du spectacle, un ultime terme vient à la fois déjouer des règles bonnes à être refaites et célébrer l’existence : séisme. A la suite de quoi ? D’un documentaire, tout simplement. Pas même une Palme d’or, juste du quotidien, sous l’œil vigilant et honnête de Nicolas Philibert. La vie a besoin d’auxiliaires, reste à savoir lequel choisir en priorité. Evidemment il s’agit d’être. Et d’avoir…confiance. En l’avenir, face à notre propre liberté, à nos responsabilités. Ce sont des enfants que nous voyons évoluer ici, petits ou grands, en passe de devenir plus grands encore, jusqu’au point d’être adultes. Ce sont eux, c’étaient nous.

Notre mémoire est prise à parti, emportée même, par ces premières images montrant la nature française. Nous sommes en terrain rural, à la campagne, loin des villes et des cités, loin d’un certain pan de notre réalité. Nous sommes pourtant à la même époque, et nos yeux se réveillent lentement, au fil des images. Ici le temps ne se presse pas, il s’incarne en tortue, comme dans la fable. Et il gagne. A être mieux connu, apprivoisé, apprécié. Pas de concurrence déloyale en cette école où l’action prend place, peu d’irrespect non plus. L’instituteur est là pour irradier sa bonhomie et son bon sens rigoureux. Il y a juste un fondamental apprentissage de la vie, empli de bienveillance. Et qu’est-ce que ça fait du bien.

Etre et avoir (c) D.R.

Voici donc l’une des classes uniques réparties sur le territoire de l’Education nationale, voici l’enfance, et le futur incarné dans leur vision du monde. Mais d’où voient-ils le monde, ces enfants ? Du haut d’un tracteur pour Julien, onze ans. Magistral, il conduit avec adresse, dextérité. On se prend à espérer qu’il conduise sa vie ainsi, avec droiture et maîtrise. Une autre voit ce qu’elle peut, cachée derrière les verres de ses lunettes, presque recluse dans sa timidité. Dans cette jeune communauté, les faiblesses et les forces se côtoient sans trop s’effaroucher. Un équilibre s’instaure, une équité, et tous ces visages finissent par former une sacrée équipée. On s’attache à eux en une heure et quarante-quatre minutes, alors imaginez la séparation en temps réel, après une année scolaire…

Si " Etre et avoir " est un film de libertés à venir, c’est aussi une œuvre de solitudes. En figure hiératique et voilée de discrétion, l’enseignant vit par et pour ses élèves. Peut-être n’y a-t-il rien d’autre à savoir, sinon cette unique passion pour son travail, cet amour singulier offert chaque jour d’école. Son " rôle " en ressort d’autant plus dans ce film qui n’est pas une fiction. Car il le joue naturellement, en redonnant au mot humanisme ses lettres de noblesse. Encore un mot en –isme, mais celui-là vaut bien la peine d’être cité et protégé.

Nous transportons tous au fond de notre poche la solitude de notre enfance, et, selon les chemins, nous la magnifions ou la négligeons. La négliger, c’est se laisser harceler par elle jusqu’au point de non-retour. La magnifier, c’est la prendre en considération pour mieux vivre avec et lui trouver une place entre nous et les autres. C’est ce que ce film donne à penser, à rire, à pleurer : une réflexion émouvante. Pour continuer à grandir, de génération en génération, sans que le mot fin nous fasse cauchemarder dans son plus flagrant réalisme.