ETATS
GENERAUX
DU FILM DOCUMENTAIRE
Du 18 au 24 août 2002
Lussas
Par
Gilles LYON-CAEN
La petite ville de Lussas proposait,
comme chaque année, un panorama du cinéma documentaire
en même temps qu’une large réflexion d’ensemble.
Et ce, en accordant encore plus de place à la parole,
au débat continu. Même en dehors des salles. Comme
dans un rêve : le cinéma dans la rue, en plein
air, dans ou devant les cafés. Lussas, États généraux
précieux. Pas un festival : plutôt une action.
ENTRE-DEUX
Qualité des films dans la section
" Entre-deux ". Des reprises essentielles :
Close-up, Vacances prolongées. Et Vanda
de Pedro Costa, Disneyland, mon vieux pays natal, d’Armand
de Pallières, deux films qui remuent, délient
les langues et brouillent les genres. Une qualité actuelle
et une définition de cet "Entre-deux " selon
Jean-Louis Comolli : " Si le cinéma documentaire
se tient dans l’entre-deux (entre fiction et réel, entre
récit et document, entre cinéma et télévision,
etc.), ce qui arrive ces temps-ci dans quelques films est " une
autre sorte d’entre-deux ", qui affecte à la
fois la place de l’acteur/personnage et celle du spectateur.
Côté acteur-personnage : le film est ce qui
lui arrive. " Il en résulte " une
sorte de mise à l’écart du spectateur, convoqué
non plus en personnage (représentation classique) mais
plutôt en témoin, si ce n’est en juge… "
Programmé deux fois, Berlin 10/90 de Robert Kramer
en est le paroxysme inouï.Ce qui manquait au spectateur
et ce dont il ne rêvait même pas : un plan-séquence
d’une heure dans une salle de bains qui joint, dans une folle
expérience sensorielle, la confession jusqu’à
l’épuisement de Robert Kramer (une épure d’art
vidéo improvisé), à l’expérience
exténuante du spectateur. Berlin 10/90, réalisé
en 1991, crée une nouvelle distance " dans
la manière d’induire une sorte de frontière infranchissable
entre nous et le personnage, une altérité irréductible "
(Frédéric Sabouraud, dans le dialogue écrit
avec Jean-LouisComolli qui ouvre le catalogue annuel).
Solitude du spectateur, " nouveau rapport à
l’autre, nouveau lien " (Jean-Luc Nancy) : mise
en crise en rapport avec " notre nouvelle inscription
dans le monde " (Sabouraud). Un partage de la parole
ou de la perte (perte de repères, de parole, de soi).
Mais encore: " Le cinéma serait l’art
du partage de la perte. " (Jean-Louis Comolli, Images
documentaires, n° 44, qui poursuit le débat sur un
" Malaise dans le documentaire ? "
avec des textes sur des films de la section " Entre-deux ")
L’EXPERIENCE DES LIMITES
Ces États généraux
auront ravi les spectateurs ainsi que le commun des cinéphiles
en quête d’OVNI. À la fois modeste et massif
(en un mot : programmation monstrueuse), convivial au
vrai sens du terme, Lussas se garde bien de vanter ses vedettes,
cinéastes-débatteurs et jeunes critiques.Pourtant, ils étaient tous nombreux. Des cinéastes,
Marcel Hanoun, Jean-Claude Rousseau, côtoyaient de jeunes
chercheurs. Xavier Baert, un des intervenants, chercheur et
cinéaste, concilie l’écriture analytique à
l’écriture cinématographique. Venu présenter
Danseurs à laGay Pride 2001, superbe
déploiement affectif de la danse à partir d’un
photogramme qui dilate l’espace-temps (nouvelle conception
du montage qui ressemble, par ailleurs, au principe de found-footage,
pellicule trouvée et retravaillée), il a été
convoqué pour témoigner de son " amitié
affective et intellectuelle " avec Raymonde Carasco
ou raconter la genèse d’Ixe de Lionel Soukaz.
Comme Xavier Baert, Emeric de Lastens, cinéaste, chargé
de diriger ce mini-séminaire, écrit dans la
revue Exploding, revue analytique d’expérimentations
visuelles. Avec Xavier Baert, Hugo Bélit de Bref
et Stéphane du Mesnildot (absents lors de ce colloque),
spécialistes de l’abstraction, il constitue sans doute
l’un des plus brillants doctorants (très souvent élèves
de Nicole Brenez, Maître de conférences, responsable
de programmes à la Cinémathèque Française) ;
que l’on retrouve ici et là dans les meilleuresparutions annuelles, ouvrages et revues confondus, chacun
écrivant en parallèle leur(s) film(s) et leur
thèse.