Au début du
séminaire " L’Expérience des limites ",
Emeric de Lastens a tenu à ne pas qu’" on "
prononce le mot " expérimental ".
Noguez, dans son Eloge aux Editions Paris-Expérimental,
ne cesse de le rayer, de Lastens l’évite par souci
analytique : de même, consciencieux, il n’aura
jamais ou presque prononcé le mot " genre "
qu’il réfute. L’éventail de la sélection
(d’Emeric de Lastens) a permis d’esquisser et d’extraire les
formes documentaires du cinéma expérimental.
Choix décisif : programmer d’abord À
propos de Nice de Jean Vigo, manifeste de " ciné-œil "
vertovien qui joint la prise de vue abstraite (effacement
de l’objectivité) au documentaire social (recherche
d’ " un point de vue documenté ").
Deux autres films complétaient cette réflexion
à partir de " La Forme d’une ville " :
Keep in touch de Jean-Claude Rousseau, projeté
en sa présence et In the street de James Agee,
documentaire urbain montrant l’enfance et l’énergie
des rues de Manhattan par le prisme d’un œilleton photographique.
La séance suivante, " Pour une photogénie
anthropologique ", comprenait notamment le fameux
Feria de Marcel Hanoun et le rare Guacamole
précédé de rushs non moins rares de José
Val del Omar, qui exprime dans son film une vie au ralenti
et l’extase émanant, à travers le motif de l’eau,
des jardins verts translucides d’Andalousie. Lors du débat
suivant sur " L’Expérience hérétique "
The Act of seeing with one’s own eyes de Stan Brakhage,
film qui se déroule dans une morgue et montre les corps
jusqu’au tréfonds de leur chair, un spectateur a demandé
aux intervenants où se trouvait la démarche
artistique tout en affirmant qu’il n’avait pas trouvé
le film obscène. Et le cinéaste Jean-Claude
Rousseau de lui répondre, énervé :
" L’obscène aurait été là
où vous auriez vu de " l’artistique " ".
IXE
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La projection d’Ixe de Lionel
Soukaz inaugurait la série nommée " Habiter
l’image ". Elle pourrait aussi s’appeler " Habiter
le spectateur ". Est (ré)apparu cette année
à Lussas le côté militant (de cinéma),
ce dont peuvent (encore) rêver les plus grands festivals
: des raretés et hallucinations, un enchaînement
permanent d’expériences des limites. Robert Kramer
et Lionel Soukaz ont en commun de dévisager le spectateur
tout au long de leur " plan-séance ".
Un même phénomène d’attraction/répulsion
se produit : même étreinte du spectateur et même
" mise en crise de sa (bonne) place "
(Jean-Louis Comolli). Lussas a eu le privilège de projeter
la version originale sur deux écrans. Il faut préciser
que la CNC a restauré quelques films de Lionel Soukaz
parmi lesquels Ixe, film contre la censure, censuré
après que son précédent film Race
d’Ep (pédéraste, en verlan) ait été
ixé. Il a fallu vingt ans pour exhumer Ixe
de l’oubli. Espérons qu’Ixe de Lionel Soukaz
sorte bientôt dans les salles. Alors, en attendant,
écoutons-le : " C’est pour cela que
je fais Ixe, et pour jouir (…) c’était la mort
de ma mère six ans auparavant, un deuil non fait, une
souffrance brute que la jeunesse ne sait pas calmer, une souffrance
qui appelle l’angoisse, une angoisse que l’on calme et étreint
par l’héroïne et la piqûre, symbole sexuel
d’une non-sexualité, d’un état hors-sexualité,
hors du désir. Ce goût de l’autre est tué,
sublimé dans la piqûre. Je n’ai jamais pu, su
me piquer, c’est l’autre, si beau, qui le faisait et nous
nous trouvions ensemble au Paradis du Non-Sens, du Rien, du
Néant, avec la sensation d’être hors-temps, hors
corps, hors âme, hors vie " (" Laisser
faire la lumière et voir dans le noir ",
Jeune, dure et pure ! Une histoire du cinéma
d’avant-garde et expérimental en France, sous la
direction de Nicole Brenez et Christian Lebrat, Cinémathèque
Française, Mazzotta, 2001, p. 421).
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