En ces années
80-90 on assiste donc à la mort d’un certain cinéma
japonais, celui des studios, et à la naissance d’un
nouveau : le cinéma indépendant. Une nouvelle
génération, encore absente des festivals, est
en gestation qui va se faire connaître à la fin
des années 80.
Les majors n’osent plus produire que des films grand public
au casting attirant (drames historiques, comédies
populaires) avec seulement des cinéastes reconnus et
dont elles sont sûres qu’ils respecteront leurs cahiers
des charges : Ichikawa Kon (Les quatre sœurs / 1986 ),
Sawai Shinichiro (Le chrysanthème sauvage / 1981) films
adaptés de valeurs sûres de la littérature
japonaise (Tanizaki Juinichirô et Itô Sachi)
qui restent ancrées dans la mémoire collective
de Japonais ; ou encore des comédies populaires
comme (Mes fils / 1986) Yamada Yôji, l’auteur de
la série des Tora-san à la Shôchiku. Ces
films destinés à une consommation locale restent
d’une qualité remarquable même s’ils manquent
du label " auteur " nécessaire
à leur admission dans les festivals. Ils montrent aussi
que, malgré la crise, les majors savent encore produire
de bons films de divertissement qui connaissent un certain
succès. Ce type de films ne doit pas être négligé
dans un panorama du cinéma japonais des années
80-90.
Cette production se fait donc au détriment du cinéma
d’auteur. Symbolique à ce titre est l’attitude d’Oshima
Nagisa. Reconnu et respecté dans le monde entier, il
refusera pourtant toujours de se soumettre aux contraintes
des majors, ce qui explique son long silence jusqu’à
son dernier film " Tabou ". Ichikawa moins
exigeant sur la forme, continue encore de produire avec les
majors, tandis qu’Imamura Shohei a pu garder une certaine
indépendance grâce à la reconnaissance
internationale (tardive) avec " Ballade de Narayama "
(1983) et a produit presque librement " l’anguille "
et " Kanzo sensei ". Exception aussi pour
Fukasaku Kinji dont le succès des films de yakuzas
dans les années 70 lui a permis d’avoir toujours la
confiance des majors. En 1992, il produit " Triple
Cross ", un polar de pur divertissement nostalgique
du film noir français mené dans un style spectaculaire
à la Besson, inédit en France.
Depuis la fin du système des studios, embrasser la
carrière de réalisateur est donc devenu un parcours
du combattant. Les jeunes qui ne peuvent plus compter sur
les majors n’ont que trois voies possibles :
1) L’indépendance pure et dure. Oguri Kohei l’auteur
de " l’Aiguillon de la mort " / prix de la
critique internationale à Cannes en 1990 fait financer
son premier film " La rivière de boue "
/ 1981 par un ami cinéphile et riche industriel. C’est
la voie la plus incertaine mais certains y ont réussi
comme Kaizô Hayashi (" Dormir comme on rêve
/ 1986 "), un hommage au film muet, ou Izaka Satoshi
" Focus " / 1996), critique virulente des dérapages
des reality show. Un autre réalisateur important Sai
Yôichi a connu le succès car il était
le premier à aborder le problème de la communauté
coréenne au Japon sur le ton de la comédie " De
quel côté est la lune ? / 1993 " et
non plus politique à la manière de Oshima dans
les années soixante. C’est la chronique d’un chauffeur
de taxi coréen à Tokyo dont le succès
a largement dépassé les frontières du
Japon. Ishii Sogo (" Gojoe " / 2000) est
un autre indépendant essentiel et pas assez reconnu.
2) La deuxième solution est de passer par les studios
de la Nikkatsu qui a évité la faillite en 1970
en se reconvertissant dans le genre " roman porno ".
Travaillant dans des conditions assez libres tant qu’ils respectent
le cahier des charges " sexuel " de ce
genre de film, avec de bonnes équipes techniques, le
roman-porno permet à toute une génération
de jeunes réalisateurs de se former au cinéma
comme à l’époque des grands studios. Une fois
leur formation acquise et leur talent artistique reconnu,
avec parfois des dizaines de roman-porno à leur actif,
ces cinéastes commencent à produire des œuvres
personnelles avec des producteurs indépendants, voire,
comble de l’ironie, avec des majors. Paradoxalement ce sont
les auteurs, les scénaristes et les techniciens qui
ont été formés dans les studios des roman-pornos
qui sont aujourd’hui à la tête du cinéma
japonais : le peintre de l’adolescence Shinji Sômai ;
l’admirateur d’Ozu et auteur d’excellents films de divertissement
Suo Masayuki (" Sumo Do, Sumo don’t " / 1992
) ;le pourfendeur des médias Takita Yôjirô
(" Jeter les magazines ! 1986 ")
ont tous en commun une formation artistique dans la plus pure
tradition des studios ce qui explique sans doute leur talent
plus durable que certains indépendants autodidactes
ou sortis d’écoles de cinéma. Shinji Sômai
Kumashiro Tatsumi (" La tristesse du bâton "
/ 1994) véritable conte philosophique yakuza, sont
deux auteurs importants des années 80-90. Ils sont
pourtant issus des roman-porno…
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