LES PETITS PLAISIRS
Le marché de l'édition
à Tokyo est énorme, des dizaines de journaux,
de revues pour chaque sujet, thème, tendance, sauf
pour le cinéma, pour lequel il n'existe pratiquement
aucune revue fédératrice, capable d'enthousiasmer
ses lecteurs. L'ancêtre, KinéJunpo, touche
un public réduit de fidèles, tandis que les
Cahiers du Cinéma Japon, qui reprend des textes
des Cahiers français en ajoutant quelques critiques
et essais Japonais, ont le tirage d'un fanzine. Quant à
l'édition japonaise de Première, qui
reprend plutôt des textes de la version américaine,
elle se distingue par la pauvreté de son contenu original.
En revanche, des revues théoriques, des livres, ouvrages
sur le cinéma abondent dans les librairies de Tokyo,
toute l'histoire du cinéma Japonais, de Shochiku a
Nikkatsu, de Toho a Toei, les journaux, scénarios d'Ozu,
les mémoires de Haruko Sugimura (fidèle de tous
les grands films d'Ozu), tout cela en kanji il va de soit.
Mais ce n'est pas tout, ces dizaines, ces centaines de revues
à Tokyo consacrent toutes un espace important au cinéma,
et ce sont dans ces revues que se trouve la communauté
critique.
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Citons quelques noms,
Studio Voice, Switch, Cut, H,
Dune, Brutus, Pool, Dish, Composite,
et une nouvelle arrivée, Invitation (pour son
1er numéro, Invitation se prenait pour Vanity
Fair en rassemblant son gratin de l'industrie du cinéma
Japonais, c'est-à-dire les cinéastes qui rencontrent
un public étranger plutôt que domestique, avec
le titre sur-optimiste de " japanese film as universal
language ". (le public de Tokyo quant à lui
ne parle pas le même langage). On croise parfois les
mêmes plumes (pas sur le modèle Libé
/ Cahiers / Inrocks) dans les revues bien
sûr, et toujours dans les festivals. Et depuis trois
ans maintenant, l'année au Japon se termine sur deux
festivals, le Tokyo International Film festival, qui fêtait
son quinzième anniversaire, et le Tokyo Film Ex Festival,
festival de cinéma indépendant d'Asie, son troisième,
qui enchaîne après celui de Pusan en Corée.
Je collabore à certaines de ses revues, à Composite
depuis des années, et plus récemment à
Invitation, qui compte aussi parmi ses collaborateurs
Shigehiko Hasumi, francophile et père dans l'âme
de la bande Kurosawa / Aoyama / Shinozaki, qui fut jusqu’à
sa récente retraite, le président de l'Université
de Tokyo. Il est aussi l'auteur d'un essai sur Ozu paru dans
la collection Auteurs des éditions des Cahiers du Cinéma.
Je croise M.Hasumi à Tokyo FilmEx, à la projection
du nouveau film de Kyoshi Kurosawa, Bright Future,
son meilleur depuis des lustres (une synthèse néanmoins
de thèmes croisés dans Cure, Licence
to Live et Charisma). Kurosawa présente
son film en compagnie de ses trois acteurs : l'incontournable
Tadanobu Asano, devenue La star " indie "
du Japon, Tatsuya Fuji (grand bonheur de revoir l'acteur de
l’Empire des Sens d'Oshima), et une star montante de
la télé, une idole, Jo Odagiri. C'est d'ailleurs
pour lui que ce public, largement féminin, est venu.
Nous reviendrons sur le film puisque rendez-vous est pris
avec Kyoshi Kurosawa et ses acteurs pour des entretiens en
janvier. Le film commence, tourné en High Vision Digital
Vidéo, palette sobre, nuancée, lumineuse, magnifique.
Je vois M.Hasumi à ma droite...qui très tôt
commence à piquer du nez, puis qui s'endort carrément
pendant le film, mais on veille au grain, on le réveille
avec un regard discret autour, a-t-on remarqué ?
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