Mais, au final, peu d’intervenants
ont proposé des mesures pour soigner les maux du cinéma
européen. En fait, il n’y en a eu qu’un seul :
Faruk Gunaltay, le président turc et europhile (si,
si c’est compatible, n’en déplaise à certains)
du groupe promotion d’Eurimages déjà cité
précédemment. Il a d’abord appelé de
ses vœux " une concentration de l’offre cinématographique
européenne ". Selon lui, la différence
entre le cinéma américain et le cinéma
européen n’est pas d’ordre qualitatif, ni quantitatif
(la production en nombres de films est quasi équivalente).
Mais elle se situe dans le trop grand éparpillement,
la trop grande " dislocation "
de l’offre européenne. Il faut donc favoriser des " films
locomotives ", tout en continuant de financer
les petits films " pour éviter de sombrer
dans le même piège que les Britanniques ".
Ceux-ci n’ont en effet pratiquement plus que des " films
locomotives " (" Bridget Jones "…etc.)
et l’avenir de leur cinéma s’en trouve hypothéqué
à long terme.
Pour réduire l’écart qui existe entre les Etats-Unis
et l’Europe en matière de cinéma, Faruk Gunaltay
a d’autres propositions en tête : " Il
faudrait former les jeunes à l’image, intégrer
le cinéma dans le cursus scolaire. Il faudrait aussi
développer le nombre de salles diffusant des films
venant de petits pays européens. Et pour cela, il serait
nécessaire d’équiper ces salles avec un système
de sous-titrage électronique et de diffusion numérique,
qui serait moins lourd que notre système de copies
actuel ". Bref tout un programme nécessitant
une " forte volonté politique ",
comme il l’indiquait lui-même, et un financement conséquent,
ce qui est très loin d’être acquis vu les minuscules
budgets accordés à la culture.
A l’image de cette intervention, l’après-midi
débats fut plutôt riche et intéressante.
Le soir, tout ce beau monde et quelques autres se sont retrouvés
à l’Odyssée, salle de cinéma d’art et
d’essai du centre-ville de Strasbourg, pour une compétition
de court-métrages européens placée sous
le patronage d’ARTE. Pour ne plus seulement parler dans le
vide théorique du cinéma européen, mais
le visionner dans sa réalité pratique. En l’absence,
pour cause de tournage, du réalisateur Gérard
Corbiau, président des Journées européennes
du cinéma et de l’audiovisuel, c’est le délégué
général Patrice Vivancos qui a endossé
les habits de maître de cérémonie.
" L’Union européenne ne cesse de produire
des courts-métrages et elle a bien raison. C’est le
laboratoire où s’esquisse le cinéma de demain.
Cette soirée n’a d’autre but que de montrer de nouveaux
talents, souligner la passion, l’amour, une foi dans le cinéma
qui ne cesse de se renouveler ", disait un peu
pompeusement la brochure. Et c’est vrai que deux heures de
semi-obscurité plus tard, l’on avait le cœur léger,
avachi dans les confortables fauteuils rouge sang de ce magnifique
lieu de cinéma qu‘est la grande salle de l’Odyssée.
Les douze courts-métrages étaient de qualité
inégale, mais ils apportaient tous une fraîcheur
de regard fort agréable.
Il y avait un film belge pseudo-sociétal
et vraiment chiant (Muno de Bouli Lanners), des
films français qui s’écoutent parler et oublient
de filmer, un bon court-métrage espagnol dans une veine
horrifique décidément très prisée
en ce moment par les cinéastes ibériques (Ya
no puedo caminar de Luiso Berdejo )… et une petite
perle allemande. Caillasses de Steiner et
Uibel est un bijou, un film d’animation inventif, drôle,
intelligent. Huit minutes de plaisir cinématographique
total à voir absolument.
Le jury composé de sept professionnels a quant à
lui choisi d’honorer Comme unseul homme,
court-métrage de Jean-Louis Gonnet qui montre la préparation
d’une équipe de rugby avant un match décisif.
Une sorte de documentaire façon Les yeuxdans les bleus appliqué au monde du ballon ovale,
mais avec des qualités de mise en scène qui
méritait d’être récompensées. Choix
plus contestable : le jury a donné une mention
spéciale à Dream Work de l’Autrichien
Peter Tscherkassky. Dans un style vaguement godardien, le
cinéaste traduit sur pellicule les onze minutes d’une
phase de sommeil profond. Mais les effets qu’il accumule font
plus mal aux yeux et aux oreilles qu’ils n’entraînent
une émotion.
Un avis que ne partage pas Yann Nicolas,
le porte-parole du jury : " Nous avons décidé
de privilégier la forme au fond, la plastique à
la narration, car le cinéma c’est aussi une construction
de l’image, le résultat de qualités techniques ".
Certes. Mais un grand film ne résulte-t-il pas plutôt
d’une adéquation la plus parfaite possible entre l’histoire
et la mise en scène ? Une vraie divergence de
point de vue donc, mais une querelle qui montre combien le
cinéma européen vit, respire, encore vert et
divers. Comme ont pu le montrer ces Journées européennes
du cinéma et de l’audiovisuel qui espérons-le
se tiendront toujours l’année prochaine à Strasbourg
en dépit du manque de soutien de la Mairie et qui,
espérons-le aussi, seront de nouveau associées
au Festival du cinéma européen, ce qui lui donnait
les années précédentes une résonance
plus importante.