Cannes, 55ème
édition du festival, et la volonté de combattre
des préjugés tenaces. Certains ont souvent glosé
en effet sur le gigantisme du plus grand festival de cinéma
du monde, martelant à qui voulait l’entendre que les
cinéphiles n’y retrouvaient pas leurs " petits ",
autrement dit les films. Faux ! Le paradoxe du festival
de Cannes pour le " spectateur professionnel ",
c’est bien d’avoir l’impression de vivre un festival de cinéma
à taille humaine, de pouvoir se frayer sans problèmes
un chemin vers les salles du Palais et de la Croisette, en
serpentant allègrement entre les chasseurs d’autographe,
les jeunes comédiens rêveurs, les starlettes
agiles et les cannois grincheux.
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Chacun son festival
de Cannes. Le nôtre, en 2002 fut enjoué, enthousiaste,
riche, excitant. On ne parle jamais assez de la sensation
agréable d’habiter le cinéma pendant
cette quinzaine, aussi bien dans les projections qu’à
l’extérieur, dans les rues (la mobilisation des commerçants
pour harmoniser leurs vitrines), sur la façade du Palais
(cette année, les fresques colorées des storyboard
de Kurosawa) ou sur la Croisette (un parcours musical, des
projections de films en plein air pour le grand public).
Autre phrase aussi vide de sens qu’elle est répétée
chaque année par certains blasés, " la
sélection des films présentés cette année
est vraiment mauvaise ". Archifaux ! La sélection
2002 de Thierry Frémaux restera comme l’une des plus
passionnantes depuis plusieurs années, équilibrée
entre valeurs sûres (réparties essentiellement
dans la Compétition officielle) et découvertes
(Un Certain Regard). A Cannes, l’impossibilité de voir
tous les films projetés génère une immense
frustration. Il faut faire des choix. Se concentrer sur les
incontournables, les films attendus, les évidentes
révélations dont on se passe le mot entre deux
séances. Sans compter les rétrospectives (Tati,
Wilder, Morrissey, et autres restaurations toutes fraîches
issues des cinémathèques du monde entier).
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On reproche aussi
souvent au festival de Cannes de faire tourner en orbite les
mêmes cinéastes d’année en année.
Or, si on regarde attentivement la sélection officielle,
on remarquera qu’un tiers environ des films présentés
sont réalisés par des cinéastes qui décrochent
leur première place en compétition officielle. Cette
année, Robert Guédiguian, Paul-Thomas Anderson,
Michael Moore, Nicole Garcia, Alexander Payne, Elia Suleiman,
Jia ZhangKe foulaient avec fébrilité leurs premières
marches cannoises.
En mai 2002, quelques semaines après le coup de tonnerre
politique qu’a connu la France avec la présence au
deuxième tour des élections présidentielles
d’un leader d’extrême droite, la sélection avait
une autre résonance. Et Thierry Frémaux de renchérir en
rappelant le plus souvent possible que la plupart des films
présentés " ne sauraient plaire à
un électeur FN ". Ultime paradoxe du festival
de Cannes, présenter le plus de fenêtres artistiques
sur le monde dans une ville presque misanthrope.
Le cinéma était, encore plus particulièrement
cette année, le meilleur antidote pour résister
à l’oppressante ambiance qui règne dans une
ville où le FN a récolté 30,5% des voix.
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