Lorsqu’un homme en arrive à tuer une
femme au lieu de l’embrasser, quelque chose de terrifiant
a lieu. De ce traumatisme inouï, incommensurable (nos fils
qui tuent nos filles, leurs sœurs, leurs mères, leurs amies)
Yamina Bachir-Chouikh tisse les liens de la vie comme de la
mort : la faillite des pères qui ne peuvent accepter
que leur fille soit violée, le silence absolu de la communauté
repliée sur ses terreurs, l’inaction forcée d’une jeunesse
éperdue de vie, l’exclusion des femmes divorcées. Rachida
et non Karim ou Omar. C’est bien de la femme, la sœur, l’épouse,
la fille dont il est question. Questionner la femme, cela
peut paraître désuet, comique ou déplacé sous nos contrées
occidentales. Mais que répondre à la douleur et à l’humiliation
de l’homme, ce père qui ne se reconnaît plus dans le regard
de sa fille souillée ? Il proclame la vouloir morte pour
ne pas subir la honte. La caméra s’attarde avec la juste sensibilité
sur ce petit homme (comme échappé d’un film de Pagnol, en
casquette). Cette attention sur le dos de cet homme qui s’éloigne
est tout à l’honneur de la cinéaste ; permettant à tout
un chacun d’éprouver la complexité humaine sans le discours
attendu d’une idéologie prétendument égalitaire. Mais surtout
Rachida raconte la peur de tout un chacun et le film
entier se vit sous la menace d’une autre catastrophe, d’un
autre attentat. Dans cette suspension du souffle, le film
me bouleverse car, de ce qui se noue et rejoint nos terreurs
enfantines (la mort de nos parents) de la compassion se dit.
Où il y a à souffrir avec ; et peut-être comprendre une
histoire de notre Algérie.
De l’autre côte de la
mer, un drame noir romantique se joue entre deux hommes
et une femme, triangle fécond de toute la littérature. Comment
choisir lorsque l’on ne peut pas ou ne veut pas, alors
qu’il nous est interdit ne de pas choisir ? Marie-Jo
et ses deux amours est le plus beau film de Robert Guédiguian
renouant avec le lyrisme d’un Pagnol en France ou d’un Douglas
Sirk en Amérique.
Ariane Ascaride est Marie-Jo,
déchirée entre son mari interprété par Jean-Pierre Darroussin
et son amant Gérard Meylan. Femme qui a « laissé tombé
mon poste de déléguée du personnel » tentant, presque
distraitement de se couper les veines, au soleil,
à la plage alors que sa famille s’ébat dans l’eau. De cette
sourde brutalité, illuminée par le travail photographique
de Renato Berta, le dernier film du tandem Ascaride-Guédiguian
se dénude sous nos yeux laissant voir et sentir la peaux
de toutes leurs espérances de vie alors que la lutte, l’espérance,
le bonheur, la réussite sonnent vains, comme déjà vieux.
Repli sur soi ? Autarcie politique ? Le récit
de cet amour d’une femme pour deux hommes, en même temps,
ne cesse de hurler (toujours au bord du cadre, par distraction)
toute la douleur d’un monde où la chanson populaire raconte
mieux que tout notre temps. Le cinéaste s’approche de ces
corps nus fragiles qui n’en peuvent plus et cherchant à.
De ce ténu (banalité de l’adultère, impossibilité du trio)
toujours au bord du pathétique, Robert Guédiguian impulse
par l’usage du plan séquence et de la chanson populaire
(ce qui nous rythme et raconte nos quotidiens) une tension
quasi spectrale à son récit. Impressionnant
Plus au Nord, c’est Le Fils que nous retrouvons.
Le dernier film des frères Dardenne fut de très loin le
plus exigeant et janséniste du festival. Déjà auréolé à
Cannes, il ne put recevoir aucun prix, comme si c'était
l’alourdir que de le reconnaître aussi ailleurs…
Toujours au bord de l’horreur de quelque chose qui
a été mais qui nous est interdit de voir, le film raconte
avant tout une histoire du voir. Où il y a sans cesse à
guetter l’autre et saisir ce qui fait sens. Quasi atone
avec une caméra asphyxiant le hors–champ (pas d’échappée
romanesque possible) le film fixe le spectateur dans un
chemin de croix (plan délibérément expressif de la poutre
portée sur l ‘épaule du « père » sans fils)
où il s’agit d’aller du corps à la conscience au nom d’une
éthique. La traque du geste devient l’enjeu de tout le film
où chaque mouvement (très peu de paroles) nous dit quelque
chose d’un hors-temps impossible à représenter. Le Fils
est le film d’une terreur muette.
Espiga de oro :Sweet Sixteen de Ken Loach Espiga de Plata :Happy Times deZhang
Yimou (Prix Fipresci) Prix spécial du jury :El Guia
(The Tracker) de Rolf de Heer Premio « Pilar Miro » : Diego
Arsuaga pour El Ultimo tren Meilleurs actrices : Adriana Ozores
pour La vida de nadie et Dong Jie pour
Happy Times Meilleurs acteurs : Federico Luppi,
Héctor Alterio et José Soriano pour El Ultimo
tren Meilleur photographe :Barry Ackroyd
pour Sweet Sixteen