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Seul quatre films se dégagent
sur la quinzaine vus (tous issus de la sélection officielle) :
Marie-Jo et ses deux amours, Rachida, Le
fils et Happy Times.
Il y a le cas Loach et son film Sweet Sixteen. Grand
vainqueur du palmarès (Espiga de Oro équivalent du Grand Prix,
et prix de la meilleur photographie pour Barry Ackroyd), le
cinéaste aimé du public comme du festival (un habitué) a,
me semble-t-il, réalisé son film le plus important depuis
Riff Raff (1990 avec Robert Carlyle) Sweet Sixteen
traversé du souffle de la tragédie œdipienne au cœur d’une
banlieue mafieuse écossaise. Liam (impressionnant Martin Campton
qui trouble le film par sa présence érotique, il fut hélas
le grand oublié du prix d’interprétation masculine) enfant
sauvage au cœur battant pour sa mère emprisonnée rêve de lui
offrir une vraie maison, pour eux et vivre enfin normalement.
A l‘aube des ses seize ans, au bord de l’enfance qui part
(scène touchante où il se bataille tels des gamins avec son
meilleur ami), ce fils et frère d’une sœur déjà mère au discours
protecteur de la morale, n’aura cesse d’arracher sa mère aux
prises d’un amant trafiquant de drogue. Pour une fois, Ken
Loach a heureusement oublié tout caractère sociologique qui
d’habite plombe son cinéma pour se concentrer essentiellement
sur les ressorts dramatiques de ce nœud familial, où de tout
temps se sont joué les plus grandes tragédies.
Tout passe par le corps de cet adolescent qui, sous nos yeux,
vit un parcours initiatique aux sombres couleurs où d’espérance
(sortir sa mère de prison, lui offrir une vie digne d’elle,
tel un mari…) en trafic frauduleux (passer de la drogue
qu’il ne consomme pas, contrairement à sa mère, le cinéaste
nous dit le lien terrible de cette poudre blanche reliant
ces deux êtres constamment séparés) il ne fait que chuter
plus encore (dans le monde des affaires où pour être un adulte
il faut trahir son ami). Film du cœur où la tendresse innerve
le récit sombre de cette transmission de la délinquance, Sweet
Sixteen pourtant me déçut dans les attentes qu’il m’offrait.
Car de ce récit magnifique, tout en juste émotion, la mise
en scène du cinéaste me parait en de-ça du scénario, comme
timide et n’osant prendre des risques formels.
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Sur nos écrans depuis le
8 janvier, Rachida de Yamina Bachir-Chouikh n’a obtenu
aucun prix du festival de Valladolid et c’est une injustice
cinématographique. Premier film de la cinéaste, monteuse professionnelle
de la majorité des cinéastes algériens depuis plus de vingt
cinq ans ( pour les films de Mohamed Chouikh, Okacha Touita
Le cri des hommes, entre autres) Rachida est
un double événement. Film algérien d’une femme algérienne.
Femme et algérienne, Rachida serait la petite sœur d’Anna
Magnani mère et italienne où, d’un lieu et d’une situation
politique précise, chacune d’elle témoigne d’une douleur pour
la transfigurer.
La force du film réside dans sa puissance formelle où, à chaque
instant, la cinéaste fait se bifurquer le récit. A la fois
pour éprouver tous les ressorts narratifs au nom de la sincérité
(scène inoubliable de la mère silencieuse berçant du bout
de l’orteil son bébé tenu par une nacelle, alors que son mari
épicier, silencieusement, rejoint les terroristes intégristes)
mais aussi pour rendre sensible une politique du corps. Rachida
est un film de la modernité cinématographique, à savoir celle
qui, à hauteur de visage, questionne le rapport au monde.
Il emprunte à la fois les chemins du réalisme (Alger et ses
rues où avec Rachida, nous traversons la ville), du
suspens (la peur innerve le récit filmique dans sa seconde
moitié) de la poésie (la gamine et la lune, l’amoureux transi
sauvé au chant mélancolique) où, sans cesse, le regard de
la cinéaste joue la dualité (le grave et le léger, le burlesque
et le tragique, la tension et le calme)
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Plan rapproché sur une bouche
qui se couvre de rouge brillant. L’essentiel se dit dans ce
plan d’ouverture où une femme séduisante nous dit sa
singularité tout comme sa liberté. Le cinéma a toujours aimé
filmer des corps en mouvement, éminemment beaux (tout Hollywood)
et celui-ci rejoint l’universel lorsqu’il laisse s’échapper
une singularité signifiante. Borzage plutôt que Hathaway,
Cassavetes plutôt que Spielberg. Beauté fatale et liberté
de parole d’une enseignante d’Alger, le rouge sur ses lèvres,
promesse de vie et de baisers qui ne viennent jamais. Entourés
de jeunes hommes sur son chemin à travers la casbah, Rachida,
comme on pouvait le croire et l’espérer (naïveté romantique)
ne sera pas draguée ni même interpellée sur sa beauté. De
même, ce jeune homme qui la suivait chaque jour n’était pas
non plus un amoureux transi. Faux suspend érotique. Il n’y
a plus place à la romance, elle n’est même pas envisageable
et cela rend compte me semble-t-il d’une vraie tragédie. Rachida
le paiera dans son corps. Refusant de poser une bombe dans
son école, ces même jeunes hommes qu’elle connaît et qui ont
son age vont froidement l’abattre au ventre.
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