Contrairement à ce que l’on pourrait
croire, les films de Fellini ne sont pas construits à partir
de souvenirs ou d’anecdotes. Fellini explique qu’il a inventé
ses « souvenirs » en disposant d’une mémoire plus
vaste, plus universelle, faisant partie de sa propre mémoire
mais aussi de celle du monde entier. L’art est pour lui une
tentative de créer l’ordre à partir du désordre même
si cet ordre reste illusoire, le réalisateur n’ayant de cesse,
dans toutes ses œuvres, de récréer le réel, se servant ainsi
du cinéma comme d’une formulation de l’imaginaire. En effet,
Fellini puisait dans ses rêves ou plutôt dans ses inventions
la plupart des idées de ses fictions. Le cinéaste déclarait
lui-même : « Les choses les plus réelles sont
celles que j’ai inventées », se réappropriant une
phrase du peintre Delacroix déclarant : « Les choses
qui sont les plus réelles pour moi sont les illusions que
je crée par ma peinture. »
En général, la plupart des réalisateurs mentent, c’est
une composante de la machinerie filmique, mais Fellini est
un cinéaste atypique. Il nous révèle, en effet, que ce n’est
pas lui qui réalise le film, mais un autre, son double. Un
dédoublement troublant mais assez instructif sur le processus
créatif.
On regrette seulement que le film peine à souligner cette
problématique du mensonge, interrompant le fil de la réflexion
par une illustration des propos de Fellini par son œuvre.
Des extraits de films qui permettent néanmoins d’entreprendre
un voyage mental fascinant, qui capte et cristallise les milles
et une facettes de la mystification fellinienne illimitée
devenue mythique.
Quant à
Ciao Federico réalisé par Gidéon Bachman, grand
ami de Fellini depuis 1956, il nous fait entrer de plain-pied
dans le tournage tourmenté de
Satyricon, immense fresque
baroque, réalisée par Fellini en 1969 après quatre ans d’absence
sur les plateaux de cinéma. Le projet remonte à 1965 quand
Fellini donne son accord à son fidèle ami pour
« un
film de télévision d’une heure sur moi et mon travail. »
Satyricon, qui se présente comme une vision de
l’Antiquité décadente et barbare, verra son tournage s’étaler
sur sept mois. Le cinéaste se prête au jeu en portant de manière
permanente un micro-cravate sur lui, qui capte toutes les
conversations. Bachman se retrouva avec seize heures de
rushes
et enregistra plus de vingt heures de son pour livrer au final
une mosaïque de scènes volées où l’on en apprend beaucoup
sur Fellini et ses méthodes de tournage. Un
making of
pertinent et enrichissant.
Les deux documentaires constituent deux portraits-hommages
touchants et éloquents pour redécouvrir une des personnalités
les plus marquantes du 7
e Art. Un artiste hors
pair qui s’est toujours attaché à condamner l’artificialité
d’une société qui dépossède l’homme, nous rappelant au passage
qu’il ne faut jamais négliger ses rêves sous peine de devenir
un pantin.