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Rencontres du documentaire de Lussas 2003 (c) D.R. ETATS GENEAUX
DU DOCUMENTAIRE 2003
DE LUSSAS

Lussas dans tous ses états
Par Damien STROKA


Etat d’urgence pour état de choc : c’est, pour le dire vite, l’esprit qui a présidé aux rencontres de Lussas cette année. Et la contestation, traditionnelle en Ardèche, s’y est exprimée avec une virulence accrue.



On le sait bien : l’été qui a précédé ces Etats généraux a été celui de toutes les colères, et pas seulement pour le monde de la culture. On le sait mieux encore : l’époque est à la violence gouvernementale. Une violence qui se fait de moins en moins feutrée, de moins en moins diffuse, de plus en plus sauvage.

Les Etats généraux n’ont pas attendu le Medef pour se mettre à réfléchir. Leurs origines participent d’une certaine critique – politique, sociale, culturelle. Reste que, malgré tout, cette édition 2003 a eu une saveur toute particulière. La réforme du régime des intermittents, bien entendu, aura apporté son lot d’épices.

« L’état d’urgence », donc, avait été décrété et le menu, outre les projections, était des plus copieux. Plusieurs ateliers de réflexion furent ainsi mis en place et divers thèmes abordés : outre le protocole d’accord, des thèmes plus « englobants » comme la précarité, le capitalisme ou l’uniformisation culturelle furent ainsi passés à la moulinette d’une réflexion singulièrement mordante.

Si ces ateliers furent de toute première qualité (malgré - ou grâce à - une atmosphère parfois un peu houleuse), la programmation fut également au rendez-vous. Et dans un contexte social aussi exacerbé, les docs prirent un relief singulier.

A bientôt j'espère (c) D.R.

Ici, il faut évidemment parler des films du groupe Medvedkine (1) qui, dans les années 1967-1974, entre Besançon et Sochaux, donna parole et caméra aux ouvriers de Rhodia et Peugeot. Portraits de luttes, portraits d’ouvriers, ils forment un corpus de films militants sur et par les ouvriers eux-mêmes. Ils y parlent d’eux-mêmes, de leurs luttes, de leur classe, de leur conscience.

S’il est difficile de parler de chaque film, on évoquera tout de même, au moins brièvement, A bientôt, j’espère, un des documentaire les plus intéressants de ce « cycle » Medvedkine. Mars 1967, menaces de licenciements à l’usine Rhodia de Besançon, une grève éclate. Plusieurs ouvriers sont interrogés dans le film, dont un meneur syndical. Il parle de son expérience de la lutte, de sa première fois « sur un tonneau ». Un autre explique toute l’admiration qu’il a pour « ces gens », pour ces meneurs et évoque tout ce qu’il a pu apprendre à leur contact : « moi, je venais de la campagne. En les fréquentant, je savais que j’avais toutes les chances d’apprendre quelque chose ». La phrase est d’importance, elle dit tout le propos du film : donner à voir la dimension culturelle de la lutte syndicale. Sans savoir, pas de poids face aux patrons – la connaissance comme remède à l’exploitation. L’idée est à la fois étrange et généreuse : généreuse parce qu’elle renvoie à cette belle utopie d’un savoir libérateur et également partagé entre tous ; étrange parce qu’elle ignore en partie la réalité du mouvement ouvrier français, mort à force d’ouvriérisme et d’anti-intellectualisme. Belle chose, belle chose singulière, tout de même, que ce film.