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Bienvenue en Suisse de
Lea Frazer (Un certain regard)
Rien de pire que les comédies qui se veulent drôles
et qui ne le sont pas en réalité. C’est un peu ce qui arrive
au premier film de Léa Frazer, dont on a l’impression qu’il
semble uniquement basé sur les drôles de différences qui
séparent les Français et les Suisses. Les uns jettent leurs
papiers à terre n’importe où, raclent le beurre et confondent
gruyère et emmental, les autres déjeunent à l’heure et connaissent
la montagne comme leur poche. C’est bien beau de vouloir
s’amuser des petits clichés et autres imageries d’Epinal
de deux pays dont on se sent proches, mais encore faut-il
avoir suffisamment de talent pour rendre la chose suffisamment
digeste. Bienvenue en Suisse se voudrait singulier,
il ne réussit qu’à ressembler à un bon film de Michel Lang
qui s’appellerait A nous le petit Suisse. Dans le
rôle titre, Vincent Perez, exhibant son torse glabre et
son (faux) accent suisse ! Il interprète le rôle d’Aloïs,
cousin de Thierry (Denis Podalydès), un ethnologue venu
en Suisse avec sa compagne, Sophie (séduisante Emmanuelle
Devos, même quand elle pleure), pour l’enterrement de sa
grand-mère. Une abracadabrante histoire d’héritage alourdie
d’un secret de famille inavouable (pensez donc, le grand-père
avait fait fortune pendant la guerre avec la commercialisation
de vagins gonflables !) s’ensuit. En décalage permanent,
Bienvenue en Suisse finit sa route dans le fossé
sans arriver à redresser le volant.
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Nobody Knows de Kore-eda
Hirokazu
Quatrième long métrage de fiction de ce cinéaste japonais
de 42 ans, habitué des festivals internationaux, Nobody
Knows s’inspire d’un fait divers qui s’est déroulé en
1988. Quatre enfants nés de pères différents, vivent avec
leur mère dans un appartement de Tokyo. Ils ne vont pas
à l’école, trois d’entre eux ne sont pas connus de leur
entourage immédiat ni de la propriétaire du logement. Quand
la mère a emménagé, ils étaient cachés dans de grosses valises.
Goût de la clandestinité, du secret. La mère, à la voix
si étrange, trimballe son évanescence. Elle charge implicitement
son fils aîné de la bonne garde de la maison avant de disparaître
définitivement. Les enfants vont devoir se débrouiller seuls…
Comme un troublant écho à Demi-Tarif, le premier
film d’Isild Le Besco où des enfants réinventaient un monde
sans adultes, Nobody Knows dessine la géographie
d’un quartier de Tokyo, prison virtuelle d’enfants abandonnés.
Entre fiction et documentaire, réaliste et poétique, le
film déroule imperceptiblement ses 140 minutes. L’histoire
se teinte progressivement d’une gravité bouleversante, par
petites touches, sans jugement moral explicite, sans effets
psychologiques. C’est comme ça, personne ou presque ne savait,
la tragédie a pu se déclarer comme si elle était écrite,
comme si elle ne pouvait que germer. Akira, l’aîné, a beau
avoir pris les choses en main, il sera malheureusement impuissant
à résoudre les problèmes qui se poseront à cette petite
famille soudée, vivant dans l’imaginaire, précipitée dans
une réalité dont ils ne soupçonnaient même pas l’existence.
Faussement classique, formellement plus complexe qu’il n’en
a l’air, même s’il reste très linéaire et patine un peu
par moments (un peu long en fait), Nobody Knows est
néanmoins un film terriblement émouvant.