Du côté d’Alan Clark, le
Forum poursuit ses efforts en permettant l’accès à d’autres
film du réalisateurs anglais, notamment Scum, Made
in britain, Road, the firm et le désormais
célèbre Elephant. Grande cohérence de cette œuvre,
à la fois noire et amusante, vicieuse et triste. Certains
films néanmoins parviennent à irriter, sans doute parce que
leur forme est à ce point crue et ambiguë que le propos peine
à se dessiner ou du moins à nous toucher. Road par
exemple n’est au bout du compte que la fresque distanciée
et tragique (toujours cette politesse du désespoir) d’une
génération aux abois qui s’en va trouver dans un style, un
art, les moyens de sa survivance. Sur le papier, le tableau
s’avère touchant, sur la vidéo il l’est bien moins.
|
 |
|
|
Côté compétition, toujours
dans le cadre des rencontres, plusieurs films furent remarqués
sans être pour autant récompensés. Roads to Koktebel
d’abord, superbe premier film russe de Boris Chlebnikow et
Alexei Popogrebsky, qui retrace le voyage d’un père et de
son fils et raconte avec un extraordinaire sens visuel, l’itinéraire
qui mène de la terre (le lieu de l’errance, de la mise en
question) au ciel (le lieu de la libération, du recommencement).
Tentation de l’abstraction, grande élégance des plans-séquences,
mots rares et réfléchis, personnages secondaires mais hauts
en couleur : tout fait de ce film un objet typiquement russe,
lorgnant néanmoins sur un autre cinéma, formellement plus
hétérogène mais tout aussi subtil et stylisé. Autre film remarqué :
Aliénations : documentaire algérien qui retrace
à Constantine le quotidien de quelques patients d’un hôpital
psychiatrique. À l’exception de malencontreux effets dramatisants
absolument étrangers à l’esprit du projet, Aliénations
parvient avec grand tact à envisager le drame de ces personnes :
drame individuel d’hommes et de femmes prisonniers de leurs
obsessions ; drame collectif également de personnes oppressées
de toutes part, par une société irrespectueuse de l’individu,
de ses droits comme de ses libertés. Il y a donc dans ce documentaire
le souci de pointer du doigt d’innombrables scandales :
scandale de la condition féminine dans ses pays, scandale
que l’hôpital psychiatrique devienne le seul lieu où il soit
possible de se délivrer du poids de l’injustice, scandale
encore que les idées fixes de certains deviennent des idées
folles pour d’autres. Le plus intéressant dans cette affaire,
c’est d’une part de voir combien la politique ici tout autant
qu’ailleurs a sa place, c’est par ailleurs de comprendre que
l’asile vaut aux yeux du système politique comme une sorte
de prison. Foucault plane au-dessus de tout cela. Dire un
mot enfin sur l’incroyable résonance que prennent ces images
de confessions, de personnes hantées ou possédées (le spectre
des djinns reste omniprésent, même au sein de l’hôpital) lorsqu’elles
sont juxtaposées à d’autres images (prises à Constantine)
de gouffres, de grottes ou encore de falaises : ce parallèle
est source de vertiges aussi bien pour le regard que pour
la raison, car dans un pays étouffé par l’obscurantisme et
une forme larvée de totalitarisme, l’aliéné s’avère à la fois
la première victime du mal et son plus inquiétant indice.
 |
|
|
|
Autre documentaire :
Dans le noir retrace au quotidien la vie émouvante
d’un vieil homme qui tisse des sacs de ficelles pour les distribuer
ensuite gratuitement dans la rue. Un chat, chez lui, s’obstine
à emmêler la ficelle qu’il utilise, ce que le vieil homme
accepte de bonne grâce même s’il gronde un instant. Ce portrait,
à la fois tendre et terrifiant, d’un homme emmêlant et démêlant
le même fil, tient de cet autre portrait, quant à lui mythologique,
d’Andromaque faisant et défaisant la même tapisserie. Il faut
dire à quel point ce film, à première vue si modeste, si discret,
compte. Il témoigne d’un sens du cinéma légèrement poétique,
et incroyablement direct. Grand tact de ce cinéma documentaire.
Derniers films remarqués : le très enlevé South of
the clouds de Zhu Wen et Il Dono de Michelangelo
Frammartino dont on avait déjà parlé lors du compte-rendu
du festival de Belfort 2003.
|