Depuis son premier long métrage
Le Dernier combat en 1981 Luc Besson travaille en collaboration
avec le compositeur Eric Serra. Six autres films et un documentaire
ont par la suite, et jusquà ce jour, réunit
les deux hommes : Subway (1984), Le Grand Bleu
(1988), Nikita (1990), Atlantis (1991), Léon
(1994) et Le Cinquième Elément (1997)
et Jeanne D'arc (1999). Des années damitié
et de complémentarité, qui se traduisent forcément
dans lart qui les rapproche : le cinéma.
Si chaque film est
différent et unique, tous sont néanmoins comme
soudés par ce duo Besson-Serra. Cette soudure prend,
à mon avis, toute sa signification et semble la plus
aboutie dans Léon. C’est pourquoi une analyse
plus précise de ce film sera présentée,
en comparaison avec les autres œuvres du réalisateur.
Ainsi, ce propos de Luc Besson se vérifiera :
" Il faut beaucoup de temps et de complicité
pour qu’un metteur en scène et un musicien arrivent
à bien se comprendre sur un film. (…) Plus on avance,
mieux on se connaît, mieux le musicien arrive à
une sorte d’osmose avec ce que fait le metteur en scène.
Eric Serra a fait la musique de tous mes films (…). Il transcrit
mieux que quiconque ce dont j’ai envie, il me comprend totalement,
c’est important… ". Cela est né du grand
respect que chacun éprouve pour le travail de l’autre,
et de la façon dont ils ont su mettre en commun leur
talent, grâce notamment à certaines habitudes
de création.
Leur façon de travailler est simple. En fait, Serra
ne commence à composer la musique qu’au moment du montage
du film, c’est-à-dire assez longtemps après
le début du tournage. A ce moment là, Besson
a quant à lui son film bien en tête et sait déjà
parfaitement ce qu’il veut. A la fin de sa journée
de montage, il se rend alors chez son compositeur, et lui
apporte les cassettes vidéo des scènes montées
avec un time-code. Chaque code constitue un point de repère
pour l’artiste, le moment de l’action où il doit introduire
de la musique. Il est donc guidé et sait combien de
temps doit durer le morceau qu’il va écrire.
Mais au début de leur collaboration,
les conditions de composition étaient loin d’être
aussi sophistiquées… Pour Le Dernier combat,
la musique a vu le jour sur un mini clavier, style Casio pour
enfant, et à l’époque Serra ignorait l’existence
de la synchronisation par time-code, et le fonctionnement
du système Dolby. De plus, les moyens financiers étaient
insuffisants pour effectuer un transfert vidéo du film.
Donc, le petit écran de la table de montage avait été
filmé avec une caméra vidéo amateur.
Par conséquent, la cassette de travail d’Eric Serra
diffusait péniblement sur l’écran de télévision
une image très sombre de quelques centimètres
carrés… Besson et Serra ont visionné le film
et définit ensemble le placement et le rôle de
la musique dans chaque scène. Le Dernier combat
ne comportant pas de dialogues, la musique devait y tenir
un rôle particulièrement important, mais en même
temps elle était soumise à moins d’exigence,
on y reviendra.
Ils ont ensuite conservé cette habitude de production :
ils discutent du film et une fois que le compositeur a suffisamment
d’informations, il travaille. Serra essaie de saisir exactement
le souhait du metteur en scène. Et cela semble plutôt
bien fonctionner puisque quand il a fini un morceau, Besson
écoute, donne son avis, et est généralement
d’accord. La démarche d’Eric Serra pour composer la
musique d’un film n’empiète en réalité
pas trop sur le travail déjà effectué
par Besson : il s’efforce de considérer les dialogues
et les bruitages comme les premiers éléments
de la musique, afin d’obtenir un univers sonore dans lequel
tout est mis en valeur au lieu de se ternir. L’absence de
dialogues dans Le Dernier combat a donc finalement
été pour le compositeur un allégement
de contraintes. En effet, il n’avait à créer
de la musique que pour les scènes visuelles. Le regard
qu’Eric Serra porte sur Le Dernier Combat dix ans plus
tard est assez intéressant : " Je trouve
que la musique du Dernier combat joue toujours bien
son rôle dans le film (même si elle aurait besoin
d’être remixée…), et sa fraîcheur naïve
me fait plutôt sourire… ". Une maison de disques
lui avait quand même accordé, pour lui et ses
quelques amis musiciens, un crédit suffisant pour louer
un studio d’enregistrement pendant huit jours.