En fait, il réussit tout simplement
à apporter sa personnalité à un support
déjà existant. Il est là d’abord pour
le film, et d’ailleurs, Besson dit de lui : " Il
imprime bien sûr sa patte, mais ce n’est pas quelqu’un
qui essaie de plaquer sa composition sur les images. ".
Cela se vérifiera aussi Le Grand bleu. Serra
a eu cinq mois pour écrire la musique, ce qui correspond
en fait aux cinq mois de montage. Cinq mois pour composer
plus de soixante minutes de musique. Cela dit, il est venu
plusieurs fois s’imprégner du film, sur le tournage.
Il s’est même laissé entraîner par la gueuse,
à plus de vingt mètres, histoire de ressentir,
de vivre cette émotion si particulière. Il lui
a ensuite fallu tout retranscrire en musique. Ainsi, il ajuste
sa personnalité au film choisi, et sa musique fonctionne
en harmonie avec les autres éléments. La musique
n’est pas seulement pensée en bout de processus créatif,
elle est travaillée pendant la conception du film lui-même.
En réalité, la musique constitue un moyen pour
Luc Besson de répondre aux exigences que lui impose
son œuvre. Elle représente pour lui une véritable
solution, et non pas seulement un simple élément
de mise en scène parmi d’autres. La musique détient
un pouvoir sur l’image conscient et consentant de la part
de Luc Besson. Comment cela fonctionne-t-il ?
Les films de Luc Besson commencent tous de la même façon :
les premières minutes donnent l’impulsion nécessaire
à la mise en place de l’unité du film. Elles
constituent la rampe de lancement du récit, qui, une
fois propulsé, atteindra son objectif sans se démentir.
Dès le début, Besson s’impose ainsi de tenir
une certaine cadence, et la musique l’y aide. Tout d’abord
donc, il y a ce prologue musical qui à chaque fois
commence exactement à la toute première seconde
du film, au moment où on lit : " Gaumont
présente ". Puis, la caméra vole au-dessus
d’une surface plane et lisse : ce furent les pavés
pour Subway, la mer pour Le Grand bleu, à
nouveau les pavés pour Nikita, à nouveau
la mer pour Léon, et enfin l’espace et ses météorites
pour Le Cinquième élément. Besson
plante simplement et rapidement son décor. Chaque survol
est musical, et chaque musique entraîne le spectateur
dans une histoire différente.
La balade enchanteresse du Grand
bleu constitue ainsi l’ouverture du film. Elle est teintée
de cris de dauphins bientôt repris et amplifiés
par un saxophone, à son tour rythmé par de doux
sons de cloches. Besson ne perd pas de temps, le générique
lui-même fait partie de l’histoire. Ici, la musique
empiète même sur l’action, puisque le morceau
est divisé en trois : l’introduction, qui présente
la Grèce et ses paysages, une petite "coupure "
au cours de laquelle la musique se fait moins expressive et
où le personnage principal est présenté :
Jacques Mayol est enfant et donne à manger à
des murènes. Puis la musique repart, on se trouve cette
fois à l’intérieur des terres, et le générique
alors interrompu se termine. En l’espace de quelques minutes,
le spectateur connaît donc le protagoniste et son environnement :
Jacques Mayol aime la mer et ses habitants. La musique s’est
atténuée au cours de la présentation
de Mayol comme pour mieux signifier au spectateur l’importance
de concentrer toute son attention sur la séquence,
car elle condense en quelques sortes le sujet du film. La
musique joue d’une certaine façon le rôle d’un
personnage à part entière, sorte de relais entre
l’histoire et le public. Elle fait partie du récit
et explicite le scénario et la mise en scène
de Luc Besson.
Effectivement, car chez Besson, chaque début de film
est une sorte de caméra subjective à expliciter.
Elle représente un narrateur extérieur à
la scène, et correspond donc à une voice-over.
Elle est caractérisée, dans le cinéma
en général, par un travelling avant, aérien
et glissé. L’effet rendu par cette technique est assimilé
à celui du suspense, mais un suspense dont le sens
est large. Car cette notion reste complexe et difficile à
délimiter. Ainsi, en remplaçant l’anglicisme
suspense par son homologue français "suspens ",
la connotation policière disparaît pour laisser
place à de l’attente pure, incertitude du spectateur
qui se demande ce que lui réserve la suite de l’histoire.
Partant de là, le suspense se confond tout simplement
avec le récit.