L’ouverture des films de Luc Besson
illustre parfaitement ce principe. La caméra vole au-dessus
de la mer dans Léon. La voice-over du
narrateur, celle du réalisateur lui-même, semble
dire au spectateur : " Je vous invite
à découvrir une histoire, l’histoire de Léon… ".
Elle est ici en fait relayée tacitement au départ
par la musique d’Eric Serra. Au début, les violons
et la flûte de paon rendent cette musique aiguë,
sifflante et triste. C’est donc l’histoire de Léon,
créature à l’état sauvage, qui à
en croire le début du monologue musical n’a pas vraiment
une existence très gaie. Puis il y a un bref son de
cloche, et le thème devient lourd, rythmé par
de gros tambours quand le travelling révèle
bientôt la ville de New York, la civilisation. Ainsi
est planté le décor, le conflit de Léon :
une créature à l’état sauvage, lâchée
au milieu d’une grande ville et modelée en parfaite
machine à tuer. Et le travelling continue, dévoilant
la cinquième avenue : Où va-t-on ? La caméra
répond bientôt en s’engouffrant, avec la musique,
par la porte du Suprême Macaroni. Ellipse au
noir. Silence. Début de l’histoire à proprement
parlé. Pendant le seul temps du générique,
Luc Besson a donc encore une fois, par un travelling supportant
une mise en scène à "suspense "
et une musique particulière, dépeint le thème
de son film, et présenté son personnage principal.
Le générique est cela dit beaucoup plus court
que celui du Grand bleu ( 1’19 contre 4’43), car il
s’agit à nouveau d’un reflet du personnage : Léon
est plus discret et plus complexe et a donc besoin de davantage
de temps, narratologiquement parlant, pour être dévoilé.
Le début de Nikita est construit de la même
façon, mais n’a cependant rien à voir. La caméra
survole les pavés, et les "paroles "
musicales d’Eric Serra, voice-over du travelling, sont
bien différentes. Le morceau commence doucement, par
une petite musique latente… puis il y a un gros bruit sourd,
des percussions, et soudain tout explose : batterie et
guitare électrique. Et voilà, en quelques notes,
Nikita fait partie de la famille : on sait que le personnage
est violent, un peu incontrôlable, mais sans doute pas
irrécupérable, puisque la musique se calme et
trouve un rythme plus "doux ". En fait, contrairement
au générique du Grand bleu, il n’y a
pas de reprise après la coupure car on est directement
dans l’action. Tout s’enchaîne très vite, en
3’12 : les loubards sont entrés dans la pharmacie,
le propriétaire a appelé la police, et ce n’est
qu’à l’arrivé de celle-ci que la musique cessera.
Par contre, en ce qui concerne Le
Cinquième élément, la musique du
générique est beaucoup plus énigmatique :
on entend comme un souffle venu du fin fond de l’espace. L’univers
dans lequel va évoluer le film est inconnu, cela semble
normal puisqu’il s’agit de science-fiction. Et pour une fois,
les personnages seront présentés ultérieurement,
le titre l’indique implicitement puisqu’on ne sait pas ce
qu’est le cinquième élément et cela doit
rester un mystère, du moins au début. D’autre
part, Besson a besoin de plus de temps pour mettre en place
l’atmosphère d’un film futuriste, surtout que 300 ans
séparent le prologue, indispensable à la compréhension,
de l’histoire qu’il engendre. Korben Dallas et Leeloo, personnages
principaux, ne seront donc présentés que plus
tard, chacun par une musique différente : assez
rythmée et délurée pour Korben, petit
chauffeur de taxi un peu " speed ", qui
se verra confié la lourde tâche de sauver le
monde. La musique qui accompagne Leeloo est plus douce mais
aussi plus charmeuse, à l’image de cet être fragile
et fort à la fois, qui fera bientôt tomber Korben
sous son charme.
Ce qu’il est essentiel de noter, c’est que la musique des
films de Luc Besson ne pallie pas un manque. Dans les exemples
précédents, elle traduit tout simplement les
caractéristiques des personnages, elle transmet une
émotion, alors qu’un dialogue dans ce cas là
serait sans doute plus lourd et moins naturel. Mais si certains
critiques ont pu dire qu’elle est omniprésente pour
remplacer un scénario et des dialogues trop pauvres
pour assurer leur fonction, elle est à mon avis en
harmonie avec le film et occupe un espace approprié.
Elle a dès le début sa place dans le film, avant
même que la première partition n’existe. C’est-à-dire,
comme l’a expliqué lui-même le réalisateur,
qu’elle est là pour prolonger les dialogues, les renforcer,
sans toutefois s’y substituer. A l’écriture du scénario,
Besson sonde déjà les possibilités. Il
écrit un dialogue tout en sachant qu’il sera justifié,
amplifié ou embellit par la musique de Serra. Un peu
comme si, selon lui, il écrivait avec des mots le début
d’une phrase et qu’Eric Serra la terminait avec des notes.
Luc Besson est un réalisateur qui, à la base,
conçoit l’importance de la musique dans ses films.
Il lui donne un rôle dès le départ.