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La Vache de David Lynch (c) John Mueller    

David n'a pas sculpté sa vache dans son intégralité mais, de même que tous les autres participants, il a travaillé à partir d'une sculpture en fibre de verre produite à la chaîne et vierge de tout motif, en lui faisant subir une série d'outrages (9). Tout d'abord, il a décapité sa vache, comme si celle-ci était passée à la guillotine, enduisant ensuite son cou d'une substance qui évoque le sang et, pour compléter cette décollation spectaculaire, il a perforé l'encolure de deux trous figurant les artères carotides du bovin. Après lui avoir ôté le crâne, il s'est également attaqué à ses flancs en lui creusant la chair et en lui éventrant le dos, si l'on peut dire. Dans la cavité dorsale ainsi constituée, David a alors placé ce qui ressemble à des entrailles et de la cervelle, le tout copieusement arrosé d'hémoglobine peu ragoûtante, puis il y a déposé l'intérieur de la tête de sa vache, peinte en rouge vif, comme si elle avait été littéralement dépecée.

  La Vache de David Lynch (c) John Mueller  

Contrairement à la coupe nette du crâne, les bords tuméfiés de cette plaie béante sont boursouflés et irréguliers : David a probablement fait fondre en partie cette portion de la sculpture, ce qui lui donne un aspect plus grossier et rend plus frappant encore l'emplacement de la tête, comme si la vache avait commencé à se dévorer elle-même, rendue démente par la folie des hommes. La vision de cette tête est saisissante puisque, outre une corne droite brisée et un œil vide et laiteux, des matières cervicales jaunâtres jaillissent à gros bouillons grumeleux du museau de la bête et engendrent un contraste étonnant avec le reste du crâne, rouge sang et extrêmement lisse, aux reflets nacrés : matières, textures et couleurs tranchées et moirées composent ainsi une œuvre plastique et picturale quasiment autonome qui suscite à elle seule l'intérêt.

(c) D.R    

Cette sculpture rappelle une expérience pour le moins burlesque que David avait tentée il y a environ quinze ans sur le tournage de Dune. Il s'adonnait alors à la pratique des " animals kits ", qui fonctionnaient toujours selon le même principe, que nous pouvons évoquer brièvement et dont nous nous sommes inspirés pour la mise en scène de cet article. Ces kits lynchiens consistent tout simplement à démembrer un animal quelconque en un grand nombre de parties identifiables et susceptibles d'être dénommées, que David fixe sur une planchette en plaçant sous chacune d'entre elles une petite étiquette indiquant qu'il s'agit d'une patte, d'un bec, d'un œil, etc. Il insère ensuite sur un des coins de la planchette une petite notice explicative où, imitant un langage scientifique de circonstance qui ressemblerait à celui d'un Dr. Frankenstein de bas étage, il enjoint les spectateurs à réassembler les fragments morcelés des animaux démembrés selon un ordre précis avant d'insuffler dans ces chairs mortes et éteintes un souffle de vie qui les ressuscitera. La consécration artistique finale de ces kits est d'ailleurs une photographie de cette " table de montage ", et non pas la planchette elle-même, comme on peut l'entendre trop souvent. Même si ces créations peuvent être plus amplement analysées, il faut savoir également demeurer sensible à la dérision et à l'aspect ouvertement comique qu'elles recèlent. Sur ce modèle, David a notamment créé plusieurs " chicken kits " ou " fish kits " qui ne manquent pas de sel, mais les circonstances du tournage de Dune allaient lui donner l'occasion de passer à la vitesse supérieure pour surpasser ces prototypes.



NOTES

9 : Toutes les photos de la vache sculptée par David sont l'œuvre et la propriété de John Mueller, étudiant à l'Academy of Art College de San Francisco, qui a réalisé ces clichés lors de la brève exposition qui s'y est tenue : une photo d'ensemble montre d'ailleurs le site où la vache de David était exposée.