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En effet, dans une séquence là
aussi purement explicative, Paul Atréides (le héros
interprété par Kyle MacLachlan) s'informe sur
les formes de vie présentes à la surface d'Arrakis,
renseignant par la même occasion les spectateurs qui
ne seraient pas familiarisés avec l'uvre de Frank
Herbert. Quelques plans évoquent le peuple des Fremens
avant d'aborder un élément crucial de Dune :
les immenses vers des sables qui montent une chasse gardée
auprès des filons d'épice. Pour instiller un
ton résolument scientifique à cette séquence,
David souhaitait alors filmer un plan en coupe d'un immense
ver dont on pourrait ainsi découvrir les intestins
et les organes. Afin de réaliser ce plan particulier,
on fit venir plusieurs cadavres de vaches sur le plateau et
on les éviscéra pour contribuer au réalisme
désiré. Le plan tourné, David voulut
conserver quelque temps une de ces vaches et il commença
à la morceler comme il avait pu le faire en modèle
réduit avec ses poulets ou ses poissons. Mais c'était
sans compter sur la canicule qui régnait alors au Mexique,
où l'équipe de tournage s'était installée,
à la fois pour des raisons purement budgétaires
et pour bénéficier de certains des plus grands
studios qui existaient à l'époque. La chaleur
accablante putréfia la viande en quelques heures à
peine et une odeur pestilentielle de pourriture envahit rapidement
le plateau, contraignant David à renoncer à
son uvre : d'une certaine façon, la cow sculpture
qu'il a réalisée pour New-York constitue à
cet égard une sorte de vengeance artistique par rapport
à ce Cow Kit qu'il n'a jamais pu achever (10).
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Dans un tout autre registre, cet étalage
de boyaux et d'organes à vif ne peut bien sûr
que me remémorer la scène du meurtre de Renée
dans Lost Highway : ce jour-là, un spécialiste
était venu sur le plateau, une valise à la main,
sortant d'une main experte des pièces de viandes, d'abats
et de cervelles spongieuses et avachies sous l'il gourmand
de David qui lui indiquait où les placer pour le tournage.
David s'empressait d'ailleurs de mettre la main à la
pâte pour arranger à son goût ce qui ressemblait
dans son esprit à un tableau. Tout cinéphile
amateur des films de David Lynch n'est pas sans savoir que
son principal souci est de dépasser le dégoût
premier qui pourrait être associé à certaines
textures ou certaines matières, afin de pouvoir atteindre
la beauté intrinsèque des choses immondes au
premier regard. Pour cette séquence, David tenait à
composer minutieusement son tableau, attentif au moindre détail
dans le plus infime recoin de l'image, projetant par exemple
lui-même de minuscules gouttelettes de sang artificiel,
à l'aide d'une paille, contre les murs de la chambre
ou sur les battants de l'armoire, même si, au final,
la séquence se révèle si brève
qu'il devient très difficile d'y distinguer quoi que
ce soit à l'écran, comme un flash incompréhensible
surgi de la mémoire de Fred Madison. Je me rends compte
également que je repense très fréquemment
à cette scène lorsque j'évoque mes souvenirs
de Lost Highway. J'y ai d'ailleurs déjà
fait référence dans un des chapitres
de cette rubrique, preuve s'il en est que le tournage de cette
séquence est resté gravé de manière
indélébile dans ma mémoire, et j'imagine
que j'y reviendrai encore probablement dans l'avenir, puisque
je ne pense pas avoir épuisé tous les sentiments
et les sensations qui y sont associés.
NOTES
10
: Comme vous pourrez le
constater sur deux des photographies présentées dans cet article,
il subsiste quelques clichés desdites vaches duniennes, puisque
David les avait intégrées dans une séquence écartée au montage
et censée se dérouler sur Giedi Prime, la planète industrielle
des Harkonnen : les vaches sont suspendues, les quatre fers
en l'air et la tête enrubannée d'un linge marqué d'un logotype
de Giedi Prime, attendant peut-être d'être pulvérisées dans
une version géante des " presse-souris " affectionnées
par le Baron après être avoir été abattues par les équarrisseurs
Harkonnen, nains au costume grisâtre et à la chevelure rousse,
lointains cousins du légendaire Ronnie Rocket.
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