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  La Vache de David Lynch (c) John Mueller  

Revenons-en précisément à la sculpture de David, puisque son travail ne s'achevait pas là où je l'ai laissé à l'instant. En effet, après avoir amputé la vache ainsi que je l'ai décrit, David l'a ornée et décorée à sa façon : comme si elle avait été victime d'un toréador dément, des fourchettes et des couteaux sont plantés dans sa croupe, dérisoires et pathétiques banderilles… D'autre part, sans doute pour briser la blancheur immaculée du modèle original, il a enveloppé la patte postérieure gauche d'un bandage suintant et purulent et a aspergé le corps entier de minuscules gouttelettes jaunes et rougeâtres, comme si sang et lymphe s'étaient lentement écoulés de chacune des plaies et des blessures de la vache, dans une pyorrhée généralisée. Enfin, dans un style qui évoque directement les titres qu'il inscrit à l'intérieur même de certains de ses tableaux avec une écriture en script, David a griffonné sur chacun des flancs de son œuvre la phrase choc suivante : " Eat my fear " (11), c'est-à-dire littéralement " Mange ma peur ". On pourrait sans doute gloser à satiété sur la signification de cet aphorisme lynchien. Comme toujours, David n'a pas souhaité imposer sa vision par rapport à la " signification " de cette nouvelle œuvre (12), nous autorisant de ce fait à avancer des hypothèses pour construire nos propres interprétations.

La Vache de David Lynch (c) John Mueller    

Nous pouvons bien sûr douter que David s'implique directement dans le flot de protestations générales de l'opinion par rapport à la vache folle, même si l'hypothèse n'est pas à exclure totalement (13). Toujours est-il que la Société de Protection des Animaux américaine (14) n'a pas décelé dans cette vache lynchienne le moindre outrage macabre et révoltant à l'encontre de nos amies les bêtes, bien au contraire, puisqu'il leur a semblé qu'un tel geste artistique s'inscrit parfaitement dans le cadre de leurs luttes et de leurs dénonciations habituelles, comme en témoigne un article issu de leur site officiel : www.peta-online.org. Ce " Eat My Fear " , variation d'un plaidoyer contre la vivisection, pourrait effectivement faire référence à un certain nombre de recherches actuelles, qui estiment que la viande de bétail est saturée de toxines nées du stress ressenti par les bêtes quand on les mène à l'abattoir (sans nous étendre davantage dans ce débat, avouons qu'il faut avoir vu les stands d'un abattoir pour se rendre compte que ce parcours ne ressemble en rien à une promenade de santé…) Interrogé dans The New Yorker du 21 août 2000 à propos de cette phrase lapidaire, David a quelque peu confirmé cette hypothèse : " Je ne suis pas végétarien - hier encore, j'ai mangé un hamburger -, mais je n'ignore pas la provenance de cette viande… On peut se douter que les vaches éprouvent une peur terrible quand elles sont conduites à l'abattoir… " (15)



NOTES

11 : D'un côté, l'inscription est proche de " EAT MY fear ", c'est-à-dire avec les deux premiers mots en lettres capitales tandis que " fear " est écrit en minuscules. De l'autre côté, seul " MY " demeure en lettres capitales tandis que " eat " comme " fear " sont en minuscules. Il ne faut sans doute pas surinterpréter ce détail, mais l'effet obtenu visuellement est intéressant, comme si la peur était exprimée par un rapetissement des caractères utilisés.

12 : Il a ainsi déclaré à ce propos " Je n'interprète jamais mes œuvres, je préfère laisser cette tâche au public " [" I never interpret my art, I let the audience do that. "]

13 : Ceci dit, les Américains ne connaissent sans doute que de façon anecdotique ce syndrome de la " vache folle ", non pas que l'ESB ne soit pas répandue sur leur continent, mais parce qu'on donne là-bas le nom de … " vaches couchées " aux bêtes atteintes par la maladie (et, après tout, si folie il y a, je ne pense pas qu'il faille la chercher du côté de nos pacifiques et inoffensifs bovidés, mais plutôt chez ces hommes qui ont un jour choisi de les nourrir avec des farines animales, comme s'ils avaient trop souvent regardé Soleil Vert de Richard Fleischer...)

14 : People for the Ethical Treatment of Animals. Signalons que la vache présentée par la P.E.T.A. a elle aussi été exclue de la sélection de la Cow Parade de New-York : sur chaque partie de son corps étaient placées des indications décrivant en détail le traitement des bêtes dans les abattoirs, ce qui ne convenait évidemment pas non plus pour un " family art " de bon aloi.

15 : " I'm not a vegetarian - I had a burger last night - but I know where meat comes from… One can imagnne that the cow experiences tremendous fear in line at the slaughterhouse. "