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Angelo Badalamenti (c) D.R.
Une des autres habitudes de David est de confier des rôles de figurants à des membres de son équipe technique ou à ses proches. On se souvient notamment d'une scène de The Elephant Man où Christopher De Vore et Eric Bergren, qui avaient tous deux collaboré avec David à l'écriture du scénario, se voyaient affublés d'un limonaire et de hardes pittoresques. Les arrière-plans de ses films sont souvent truffés de techniciens anonymes qui se retrouvent soudain projetés de l'autre côté de la caméra : dans Lost Highway, l'un d'entre eux se vit ainsi tour à tour installé dans un bus à écrire sur un petit carnet, gigotant devant un projecteur dans la Madison House pour créer des ombres sur les murs ou engoncé dans une veste de policier lancé à la poursuite de Fred Madison lors d'une folle chasse nocturne dans le désert… Jusqu'à aujourd'hui pourtant, ces rôles s'étaient limités à de courtes apparitions proches du clin d'œil destiné aux initiés ou de l'album de famille cinématographique. Dans Mulholland Drive, David franchit un cap dans cette direction en offrant de vrais rôles non pas à un, mais à trois de ses proches collaborateurs.


Ainsi, Angelo Badalamenti, compositeur attitré de la bande originale de ses films, mais aussi de ses séries et de la plupart de ses publicités, incarne-t-il de façon délicieuse un mafieux terrifiant et monomaniaque, uniquement obsédé par la qualité de son expresso, en bon Italien qui se respecte : une grande partie du plaisir qui naît de la vision de cette scène provient d'ailleurs sans conteste de la personnalité de Badalamenti, bon vivant qui s'amuse ici à jouer les durs avec bonheur. Autre ami de longue date de David, Monty Montgomery eut plusieurs fois l'occasion de croiser la route cinématographique de celui-ci : à la tête de sa société Propaganda, il fut notamment le producteur de Wild at Heart, et tous deux imaginèrent également ensemble le concept de la série Hotel Room. Preuve des liens qui unissent les deux hommes dans la vie, David produisit en 1998 l'album Lux Vivens, variation de la musique d'Hildegarde Von Bingen qu'interprétait Jocelyn West-Montgomery, qui n'était autre à la ville que… l'épouse de Monty Montgomery… La seule et brève fois où j'aperçus Montgomery sur les collines d'Hollywood dans la propriété de David, il revêtait une tenue qui me fit écarquiller les yeux de stupeur et dont j'appris par la suite qu'il s'agissait de son uniforme habituel, au même titre que les pantalons flottants ou les chemises boutonnées jusqu'au col de David : habillé en Cow Boy, il portait déjà le costume qui serait le sien dans Mulholland Drive, où, sous le nom de Lafayette Montgomery, il joue, très pince-sans-rire et sibyllin, un Mystery Man à Stetson, santiags et bandana qui restera dans toutes les mémoires. (23)


  Naomi Watts et Laura Elena Harring (c) D.R.

Enfin, de tous les collaborateurs de David, si Cori Glazer figure parmi les moins exposés par les médias et donc parmi les moins connus, y compris des admirateurs les plus inconditionnels, elle est probablement celle qui, sur le plateau de tournage, est la plus proche et la plus indispensable à David, à la fois pour son rôle de confidente de tous les instants et pour l'efficacité dont elle fait preuve en tant que scripte, poste qu'elle assume depuis plusieurs années sur nombre de ses projets. Modèle de discrétion et d'humilité, Cori a pourtant littéralement le dernier mot dans Mulholland Drive : méconnaissable sous un maquillage et une perruque hauts en couleurs, elle donne chair à une Blue Lady énigmatique. Semblable à une Cruella stoïque et hautaine aux cheveux d'un bleu électrique, elle contemple le spectacle du Club Silencio depuis sa loge avant de proférer une sentence implacable qui viendra conclure le film et plonger le spectateur dans la nuit et le silence. Ce personnage froid et distant se trouve à cent lieues de la personne que j'ai pu côtoyer au jour le jour sur le plateau de Lost Highway : comme sa fonction l'incitait à être constamment aux côtés de David pour pouvoir le renseigner à propos de telle ou telle scène, je me trouvais donc tout naturellement le plus souvent dans son voisinage immédiat, et c'est également Cori qui m'aidait régulièrement à dénicher, y compris dans les recoins les plus réduits, un endroit d'où je pouvais assister au tournage des séquences du film. Un autre des rites quotidiens qui rythmèrent mon séjour se déroulait en sa compagnie puisque, à l'issue de chaque journée de tournage, après avoir déposé les documents nécessaires au montage dans les bureaux de la production, elle me conduisait dans un laboratoire situé au cœur d'Hollywood où s'effectuait la projection des rushes des séquences tournées la veille, que nous appelions traditionnellement les dailies.