Lorsque le tournage du pilote commença
à la fin du mois de février 1999, l'excitation
était à son paroxysme dans le microcosme hollywoodien,
où les scénaristes postulaient avec enthousiasme
pour pouvoir participer à l'écriture des épisodes
de la première saison. Comme à son habitude,
l'équipe que réunit David pour ce projet fut
un assemblage de membres de sa famille cinématographique
et de novices, à la fois pour les techniciens
comme pour les comédiens. Après avoir fait appel
à l'expérience de Freddie Francis, dont l'âge
vénérable était en parfaite harmonie
avec l'esprit du film, pour la photographie de The Straight
Story, David s'attacha de nouveau les services de Peter
Deming trois ans après Lost Highway. De nombreux
autres fidèles le rejoignirent, parmi lesquels Dan
Kneece, opérateur à la Steadycam, Susumu Tokumov,
ingénieur du son sur le plateau, Johanna Ray au casting
ou encore Gary d'Amico, responsable des effets spéciaux.
Jack Fisk, qui occupait également ce poste pour The
Straight Story, fut de nouveau chargé des décors
du film : cet ami d'enfance de David, célèbre
pour le rôle de l'Homme dans la Planète qu'il
interprétait dans Eraserhead, l'avait également
aidé pour la création de son premier court métrage,
Six Men Getting Sick. Mary Sweeney enfin, comme à
son habitude depuis Twin Peaks : Fire, Walk With Me,
allait prendre en charge de son côté une partie
de la production et le montage du film.
Pour la distribution, David confia d'abord
la tête d'affiche à des acteurs relativement
jeunes et inconnus (Naomi Watts, Laura Elena Harring et
Justin Theroux), à la fois pour des raisons artistiques
mais aussi probablement économiques : puisque les
personnages qu'ils étaient censés interpréter
durant éventuellement plusieurs saisons télévisées
seraient récurrents, la production ne pouvait bien
sûr pas se permettre d'engager des acteurs établis
et aux cachets pharaoniques. David ne négligea pas
pour autant ce type de comédiens de standing
mais il ne pouvait leur offrir davantage que des cameos
ou des rôles secondaires dans l'intrigue. Robert
Forster et Dan Hedaya figuraient ainsi parmi ces guest stars
de luxe, vedettes américaines au sens littéral
du terme. Tous deux habitués aux seconds rôles,
ils avaient longuement écumé les plateaux
prestigieux avant de se voir offrir quelques scènes
dans Mulholland Drive : Dan Hedaya avait joué
les seconds couteaux dans une pléthore de films,
parmi lesquels nous pouvons notamment retenir Blood Simple
des frères Coen, et Robert Forster, au moment du
tournage du pilote, venait de connaître un regain
de notoriété inattendu après sa prestation
dans Jackie Brown de Quentin Tarantino. Une autre
pointure (au sens propre, puisqu'elle était une
reine des claquettes) vint compléter le casting en
la personne d'Ann Miller, gloire de l'époque des
Musicals qui avait tourné en compagnie de Fred Astaire
(Easter Parade en 1948) ou Gene Kelly (On the
Town réalisé par Stanley Donen et Gene
Kelly en 1949) mais avait déserté les tournages
depuis près de cinquante ans avant que David ne lui
donne le rôle haut en couleurs de Coco Lenoix (admirez
la finesse du jeu de mots à la française ),
la gérante de la résidence où s'installe
le personnage de Naomi Watts.
Puisque Jack Nance avait tragiquement
disparu quelque temps auparavant, on ne pourrait hélas
pas apprécier une fois de plus une de ses délectables
apparitions, à laquelle sa seule présence
donnait une épaisseur et une tendresse particulières.
David ne s'entoure d'ailleurs guère de ses acteurs
fétiches pour Mulholland Drive : pas
de Kyle Mac Lachlan, de Freddie Jones, de Dean Stockwell,
pas plus d'Everett Mc Gill, d'Harry Dean Stanton, de Brad
Dourif ou d'autres encore en guise de signes de ralliement
des amateurs de longue date de son uvre. Les rares
gimmicks lynchiens que David s'autorisa dans le pilote
prennent alors d'autant plus de saveur. Michael J. Anderson,
légendaire " Little Man From Another Place "
de Twin Peaks et éphémère prétendant
au rôle titre du projet mythique Ronnie Rocket
qui traverse sporadiquement la filmographie de David depuis
plus de vingt ans, se retrouve ici dans la peau, ou plutôt
dans le corset, d'un nabab hollywoodien impotent, doté
d'une fine moustache de Latin Lover grotesque et
surtout d'une taille paradoxale puisque normale. Cependant,
la surprise de choix réservée aux inconditionnels
de la première heure est la courte mais ô combien
décisive apparition de la vieille dame que rencontre
le personnage de Betty à l'aéroport de Los
Angeles et qui se prénomme Irène : ce dernier
est interprété de manière onctueuse
par Jeanne Bates, vétéran lynchien qui resurgit
dans l'uvre de David plus de vingt-cinq ans après
avoir incarné Mrs. X. dans Eraserhead, où
elle campait la plus odieuse Belle Maman qu'on ait
jamais vue sur un écran, en proie à de brusques
crises d'hystérie cataleptique ou soumise à
des pulsions érotiques noires durant lesquelles elle
s'acharnait à tenter de séduire son gendre
figé de terreur sous le regard horrifié de
sa fille.