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Sailor et Lula (c) D.R.
Comme avec Mark Frost dix ans avant, nous pouvons logiquement supposer que c'est Tony Krantz qui a mis David en contact avec Joyce Eliason afin que tous deux collaborent à l'écriture du scénario du pilote. Joyce Eliason était en effet jusque là scénariste de fictions télévisées, parmi lesquelles figuraient Marilyn : The Untold Story (1980), Elvis and Me (1988) ou The Last Don (1997). David, fasciné par la personnalité de l'actrice et par ses rapports avec les Kennedy, a longtemps souhaité tourner une adaptation de Goddess : The Secret Lives of Marilyn Monroe, une biographie publiée en 1988 par Anthony Summers, et nul n'a oublié l'interprétation d'un avatar du King par Nicolas Cage dans Wild at Heart où, le nez en compote, il susurrait un Love me Tender d'anthologie à une Lula énamourée, juché sur le capot de leur cabriolet. Cette attirance commune pour les années 50, qui influencera le scénario de Mulholland Drive par bien des aspects, explique les atomes crochus qui ont pu naître entre David et Joyce Eliason durant l'écriture du script.(19) Pourtant, seul David est crédité aujourd'hui en tant que scénariste pour la version cinématographique de Mulholland Drive alors que, de toute évidence, l'apport de Joyce Eliason fut déterminant quant au pilote : étant donné la part prépondérante de ce dernier dans le long métrage, il aurait paru logique de retrouver Joyce Eliason au générique du film. Nous supposons qu'un accord a été défini entre les deux parties (aussi vague soit le terme d'accord…), afin que David endosse pleinement la responsabilité du scénario et devienne l'auteur à part entière de son œuvre, puisqu'il affectionne cette notion d'Auteur telle qu'ont pu la définir les critiques de la Nouvelle Vague. A l'époque de la sortie de Lost Highway, Barry Gifford, amusé, soulignait la propension de David à souhaiter inscrire son nom dans le plus grand nombre possible de postes dans un générique avant de rappeler que, pour ce film qu'il avait coécrit avec lui, il s'était vu essuyer un refus immédiat et ferme de sa part lorsqu'il lui avait suggéré de faire figurer sur l'affiche l'indication Un film de David Lynch et Barry Gifford. Je laisserai par conséquent le soin à chacun d'épiloguer sur les raisons exactes de l'oubli de Joyce Eliason dans les crédits de Mulholland Drive


Toujours est-il qu'une version de quatre-vingt-douze pages de ce scénario écrit à quatre mains fut remise à ABC le 4 janvier 1999. Ce script fut accueilli de façon positive et même enthousiaste par les dirigeants de la chaîne, qui s'empressaient alors de souligner son originalité. Ainsi, lors de la conférence de presse qu'ABC donna le 11 janvier 1999 afin de présenter les séries prévues pour la rentrée de septembre, Jamie Tarses déclara à propos du scénario que " [C'était] un Lynch du meilleur cru, qui évoque énormément Twin Peaks. Nous l'avons lu d'une traite. " (20) Tout semblait donc s'annoncer sous les meilleurs auspices, comme l'indiquait Steve Tao : " Twin Peaks était comme un jeune rocker qui meurt dans le crash d'un avion : ce départ prématuré engendre une faim insatiable [chez le public]. Nous espérons assouvir cette faim avec Mulholland Drive. Franchement, on trouve une pléthore de séries identiques à la télé. La télévision telle que la conçoit David Lynch tranche avec cette uniformité. " (21) A l'époque où ce projet était présenté, on ne comptait plus en effet les clones de Friends ou les séries semblables à des produits sans âme : indéniablement, Mulholland Drive ne sombrait pas dans le conformisme latent qui gangrène un grand nombre de séries calibrées et testées comme des produits de consommation courante pour séduire telle ou telle tranche du public.


  ABC (c) D.R.

Preuve que la chaîne misait beaucoup sur Mulholland Drive pour redresser sa cote d'amour auprès du public, ABC déboursa 4,5 millions de dollars pour le seul tournage du pilote, soit environ quatre fois plus que les 1,2 millions qui sont alloués d'ordinaire. Le feuilleton figurait alors aux côtés de six autres pilotes mis en chantier simultanément par ABC, dont seule la moitié était destinée à franchir ce cap décisif : pour l'ensemble des grands networks américains, plus de la moitié de la quarantaine de nouveaux pilotes tournés chaque année reste sur le carreau de la salle de montage et ne se métamorphose jamais en série. La générosité d'ABC démontrait une grande confiance de la part de Jamie Tarses et de Steve Tao, et laissait par conséquent présager que la chaîne souhaitait s'engager sans réserves sur ce projet. De plus, Touchstone Television prit part à la production avec un investissement de 2,5 millions de dollars : le budget final avoisinait alors les 7 millions de dollars, et cette somme confortable permit à David de mettre en place sereinement la pré-production du pilote au début de l'année 1999, tandis qu'il soignait parallèlement le montage et le mixage de The Straight Story. (22)