Ce dénouement inespéré
incita David à filer la métaphore de la route
en analysant a posteriori la genèse contournée
et torturée de son film comme la
gestation étrange
mais prédestinée d'une uvre qui lui
aurait par ce biais imposé son parcours complexe
pour pouvoir
naître : " L
e
voyage a été aussi long que la véritable
route de Mulholland Drive à Los Angeles. Avec ses
tournants, ses errances, c'est une vaste, une longue route,
une route mystérieuse, mais tous les films sont ainsi
: ils veulent aller dans un certain sens et on ne sait pas
à l'avance les chemins qu'il faudra prendre pour
aboutir à leur forme finale. "
(40)
Après une présentation au Festival de New-York
au lendemain des attentats qui frappèrent le World
Trade Center, suivie d'une participation au Festival canadien
de Toronto,
Mulholland Drive, porté par des
critiques globalement élogieuses
(41),
fut programmé le 12 octobre 2001 aux Etats-Unis,
distribué par Universal Pictures dans une sélection
de quelques grandes villes avant que la sortie nationale
américaine ne s'effectue une semaine plus tard. A
cette occasion, David transmit aux quelque 250 salles qui
diffusaient son film une petite note qu'il avait spécialement
rédigée à l'attention des projectionnistes,
leur demandant de veiller à augmenter le volume habituel
de trois décibels et de surélever légèrement
la hauteur de l'image en suivant des instructions très
précises
(42).
Ce document pour le moins insolite ne peut évidemment
qu'évoquer le soin légendaire avec lequel
Stanley Kubrick lui-même tenait à maîtriser
scrupuleusement chaque étape du processus de création
de ses films, depuis l'examen minutieux du moindre mot de
ses scénarios jusqu'à la vérification
quasi maladive des conditions de projection des cinémas
où passaient ses uvres, parfois plusieurs années
après leur première sortie en salles. Si David
ne pousse pas le perfectionnisme aussi loin pour l'instant,
il n'entretient pas moins quelques parentés avec
Stanley Kubrick. Nul n'ignore qu'il considère le
réalisateur de
2001, l'Odyssée de l'Espace
ou de
Eyes Wide Shut comme un des maîtres du
cinéma contemporain, et que
Lolita fait partie
de ses films favoris. De son côté, Kubrick
aurait porté une grande admiration pour
Eraserhead,
qu'il projetait régulièrement selon les rumeurs
dans sa propre salle, et qu'il aurait montré aux
membres de son équipe avant le tournage de
Shining
pour les plonger dans une certaine ambiance. De fait, et
ce n'est sans doute pas si fréquent chez les cinéastes,
David possède également sa salle de projection
personnelle, construite dans les murs de la Madison House
et qu'il a inaugurée en 1996 en montrant
Sunset
Boulevard à ses amis, le film de Billy Wilder
qui dépeint Hollywood et auquel
Mulholland Drive
fait parfois référence.