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  Dune (c) D.R.
Quelques semaines après le rejet prononcé par ABC, l'amertume qu'éprouvait David demeurait toujours aussi tenace, d'autant plus que les quelques chaînes, dont la Fox, qui avaient envisagé de reprendre le feuilleton sur leur antenne, s'étaient finalement désistés : " Il vient un moment où on réalise que l'on fait fausse route avec les gens qui travaillaient à nos côtés. Leur mode de pensée m'était totalement étranger. Ils aiment les allures rapides et les histoires linéaires, mais vous voulez que vos créations soient personnelles et portent votre marque caractéristique. Je pense qu'il est tout à fait possible qu'il y ait des extra-terrestres sur Terre : ils travaillent à la télévision. " (32) Lorsque David concocta cette petite plaisanterie ironique, il ne se doutait cependant pas que les extra-terrestres d'ABC n'avaient pas encore abattu toutes leurs cartes et qu'ils échafaudaient de lancer un baroud d'honneur plusieurs mois plus tard. En effet, puisque la chaîne américaine en possédait les droits, ses dirigeants projetaient de diffuser le pilote de façon isolée, présenté comme un téléfilm autonome (33). La date du 10 avril 2000 fut même avancée par les dirigeants, et il s'en fallut de peu que cette éventualité aboutisse, au point que David, la mort dans l'âme, envisageait de faire retirer son nom du générique pour le remplacer par celui d'Alan Smithee, célèbre pseudonyme dont usent les réalisateurs qui ne reconnaissent pas leur paternité dans un film et que David avait d'ailleurs déjà utilisé pour une version longue télévisée de Dune : " Ils vont diffuser [le pilote] un jour ou l'autre, mais cela n'aura rien de satisfaisant, puisque le feuilleton était censé se poursuivre encore et encore. Il est quasiment absurde de le diffuser comme un téléfilm indépendant (34). Cette version défigurée qui sera présentée est semblable à un accident : certaines personnes se délectent de contempler un triste et grave accident de la route, et c'est ce que les spectateurs vont voir sur ABC. J'espère que personne ne regardera ça. (35)"


La Bonne Fée du Magicien d'Oz chère à David devait veiller sur le projet puisque son vœu fut pleinement exaucé : contre toute attente, personne ne vit effectivement le pilote de Mulholland Drive ce jour-là, car… il ne fut pas diffusé. Un deus ex machina inespéré empêcha cette mise à mort dans l'arène télévisuelle en apportant une solution miracle de dernière minute pour dénouer les fils de cet imbroglio apparemment sans issue, comme dans tout sirupeux happy end hollywoodien de la grande époque. Après plus d'un an de lentes démarches juridiques occasionnées par la répartition des droits entre diverses sociétés de production, c'est en effet en mars 2000 que le Studio Canal, filiale de Canal +, racheta pour sept millions de dollars le pilote à ABC par l'entremise de Pierre Edelman, déjà producteur exécutif sur The Straight Story, qui avait longuement insisté auprès de David pour que celui-ci lui procure une copie de ce projet qui était jusque là destiné à croupir sur les étagères des bureaux de Picture Factory. Ce coup de théâtre inattendu soulagea et réconforta de façon évidente David dans un premier temps : " Les dirigeants d'ABC ne m'ont jamais dit ce qu'ils pensaient du pilote. C'est un tiers qui m'a appris qu'ils le détestaient. Mais je suppose que toute chose se produit pour une raison précise : aujourd'hui, je me sens véritablement béni par la façon dont les choses ont tourné. (36)"


Wild At Heart (c) D.R.
Cette euphorie première quelque peu retombée, David se retrouva seul devant l'angoisse de la page blanche et la tâche a priori insurmontable qui consistait à métamorphoser un pilote destiné à la télévision en un long métrage cinématographique : " [Le rachat du pilote par le Studio Canal] fut un magnifique moment mais m'affola également car je ne trouvais pas d'idées pour conclure le film. J'étais perdu, jusqu'à ce que tout un chapelet d'idées pénètre en moi l'espace d'une nuit. J'étais si reconnaissant que les idées se soient ainsi présentées à moi, si simplement. (37) Je vous jure qu'une nuit, je m'assis et l'intégralité du scénario se présenta à moi. Et ce fut une des expériences les plus merveilleuses qu'il m'ait été donné de vivre. Toutes les pièces manquantes arrivèrent, si bien que je n'avais plus le moindre problème. Dans un pilote, tout est ouvert, et vous faites démarrer quelques petites pistes, mais aucune ne mène à une conclusion : c'est par conséquent tout le contraire d'un long métrage. Tout ce dont vous avez besoin, ce sont des idées, et si vous focalisez énormément votre attention, elles commencent à se présenter à vous. (38)