En 1917, Emil Jannings,
pas encore au faîte de sa gloire, donne la réplique
(muette) à Erna Morena dans un film signé Alexander
von Antalffy. En 1918, deux futurs grands d’Hollywood exercent
encore leurs talents sous la bannière magyare :
s’emparant à son tour du thème, Mihály
Kertész, le futur Michael Curtiz, y dirige Bela Lugosi !
Dans le rôle de Lulu : Claire Lotto.
Mais la version antépabstienne
la plus importante est celle de 1922. Produite et réalisée
par Léopold Jessner, scénarisée par Carl
Mayer, l’inventeur du Kammerspiel ( mouvance cinématographique
qui ne sera pas sans marquer Pabst ), elle est intéressante
à plus d’un titre :
- bien qu’elle traite du
même sujet que le film de Pabst, son titre, Erdgeist
(L’Esprit de la Terre) est celui de la première
partie du diptyque de Wedekind, tandis que le film de 1928
s’appelle Die Büchse der Pandora (La Boîte
de Pandore) , titre de la deuxième partie.
- elle réunit une
distribution éclatante : Asta Nielsen, la plus
grande actrice de son temps et au sommet de sa gloire est
entourée d’Albert Bassermann ( inoubliable professeur
Van Meer dans Correspondant 17 d’Alfred Hitchcock ),
d’Alexander Granach ( Knock/Renfield dans Nosferatu
) et du légendaire Heinrich George.
- la chevelure noire coupée
à la garçonne d’Asta Nielsen ne préfigure
pas seulement celle de l’interprétation de 1928, mais
en constitue même le modèle - lorsque Pabst décida
de mettre en chantier son propre remake, une de ses manières
d’en remontrer à cette version célèbre
mais qu’il estimait ratée, consistait en une reprise
du code capillaire de l’héroïne.
- La rue sans joie,
le premier grand film de Pabst (1925 ) aura pour vedette officielle
(sa vedette officieuse étant, a posteriori, Greta Garbo)
... Asta Nielsen. Alexander Granach, lui, jouera dans La
Tragédie de la Mine, en 1931.
Die Büchse der Pandora
connaîtra d’ailleurs à son tour un remake :
la version autrichienne de 1960, dirigée par Rolf Thiele
et mettant en scène Nadja Tiller.
Enfin, en 1980, le réalisateur
franco-polonais Valérian Borowczyk (Les Contes Immoraux)
livrera à son tour une version, Lulu.
Loulou, ce film
mythique en France, notamment grâce au culte que la
critique cinématographique des années 60 aura
voué à Louise Brooks, s’appelle donc en réalité La
Boîte de Pandore. C’est d’ailleurs sous ce titre
que Georges Sadoul, dans son Histoire mondiale du Cinéma
l’évoque. Mais la ferveur avec laquelle on aura, en
Allemagne comme en France, à plusieurs reprises, adoré
Louise Brooks, et Louise Brooks seule, fait que la pièce
de Wedekind, et même quelquefois le réalisateur
du film, ont été éclipsés par
le personnage, et celui-ci lui-même par la chevelure
noire, les dents blanches et les seins minuscules de sa plus
illustre interprète. Possesseurs de magnétoscopes,
à vos appareils, si le cœur vous en dit : dans
la scène où, dans les coulisses du théâtre,
Fritz Kortner/Schön violente Lulu/Louise Brooks, le sein
gauche de celle-ci se révèle l’espace d’un instant...
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