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  Loulou (c) D.R.

Notons aussi qu’une coquille aussi cocasse que fréquente transforme, dans sa transcription française, Die Büchse ( La Boîte) en Die BüscheLes Buissons ) de Pandora ! Ou quand l’insouciance grapho-linguistique rejoint le lapsus freudien le plus pur ...

Le tournage du film eut lieu du 17 Octobre au 23 Novembre 1928, l’année même où Alban Berg entame la composition de son opéra, achevé à titre posthume par Friedrich Cerha. Le tournage et sa préparation firent, de la part du public et de la presse spécialisée germanophones, l’objet d’un intérêt intense, preuve, preuve s’il en fallait, de la popularité et de la célébrité de l’œuvre sulfureuse de Wedekind. La recherche effrénée d’une Lulu adéquate, qui prit à Pabst plusieurs mois, excita tout particulièrement les ardeurs. Quand Pabst choisit finalement une jeune américaine, Louise Brooks, les réactions de dépit ne manquèrent pas : Brooks raconte qu’à la sortie de l’avant-première du film, une spectatrice commenta son apparition par les mots : " Voilà cette actrice américaine qui joue unsere deutsche Lulu ! "

Mais on aurait tort de croire que Brooks n’était alors qu’une obscure actrice étrangère et de seconde zone. Bien qu’encore très jeune à cette date ( 22 ans ), la danse et le cinéma en avaient déjà fait une vedette outre-Atlantique, et ce fut tout à fait triomphalement que la future héroïne du film fut accueillie à son arrivée en Allemagne. Par une étrange coïncidence de l’Histoire, d’ailleurs, Pabst, qui, en attendant ( et espérant ) l’assentiment de Brooks, continuait à tester des Lulus potentielles, avait jeté son dévolu sur Marlene Dietrich comme pis-aller pour le rôle-titre, tout en la trouvant " trop vieille ( 27 ans ) et trop vulgaire ". Il est vrai qu’il s’agissait de la Dietrich d’avant Sternberg ... Mais la véritable coïncidence est la suivante : quelque mois après, Dietrich, en jouant dans L’ange bleu ( adaptation de Professor Unrat, roman de Heinrich Mann ), allait se retrouver au cœur d’une intrigue, au ton et au thème relativement similaires, et dont Pabst avait, à un moment donné, lui aussi envisagé la réalisation !

Marlène Dietrich (c) D.R.
Signalons par ailleurs que le choix d’une actrice à peine majeure ( selon la législation de l’époque, en tout cas), sorte de préfiguration de Lolita, n’est pas sans autre lien avec la version de 1922 : Asta Nielsen y affichait déjà 41 ans. Le visage masculin, osseux et dur, et les yeux énormes de la Danoise ont sans doute aussi été déterminants dans le choix a contrario d’une interprète au visage lisse et aux petits yeux. " Je retiens la coiffure et pour le reste, je prends le contre-pied " - telle a, de toute évidence, été la démarche de Pabst. Et en effet, sa décision de se lancer dans une nouvelle adaptation est due en grande partie à l’insatisfaction que lui inspirait la version Jessner / Mayer. Trop innocente, trop superficielle, trop facile à ses yeux, celle-ci ne lui semblait pas exprimer l’essence vénéneuse et critique de l’œuvre tant admirée de Wedekind.

A l’instar de Wedekind en son temps, Pabst a voulu stigmatiser le culte hypocrite et faussement heureux du plaisir de son époque, et plus encore que le dramaturge, il fait de Loulou un réceptacle des fantasmes des autres, au lieu d’un véritable personnage en soi. La vision du film ne laisse pas de doute là-dessus : Loulou n’est pas une manipulatrice machiavélique et jouisseuse, elle n’en a pas besoin : elle ne fait rien, car tout lui arrive. Il fallait l’archétype de la jeune étudiante de bonne famille pour incarner ce rôle de cette façon : l’innocence pure, mais non pas l’innocuité.

  La boite (c) D.R.
Le film a été écrit par Ladislaus Vajda et produit par Seymour Nebenzahl pour la Nero Films. Le scénario est une habile contraction des deux pièces. C’est surtout la fin qui a été modifiée : ici, Lulu est seule à mourir aux mains de Jack l’Eventreur, la comtesse Geschwitz ( la véritable héroïne de l’histoire, selon Wedekind ) ne l’accompagnant pas à Londres.

Le docteur Schön est interprété par Fritz Kortner, son fils Alwa par l’acteur tchèque Franz (Frantisek) Lederer, la comtesse Geschwitz par la wallonne Alice Roberts, Schigolch par Carl Goetz, Rodrigo par Krafft-Raschig, Jack l’Eventreur par Gustav Diessl (déjà interprète pabstien de Abwege /Crise, également en 1928, et futur Morhange dans la version allemande de Die Herrin von Atlantis / L’Atlantide, 1932 ).

Rapidement mutilé et altéré par la censure, qui en fit, par la grâce du charcutage et de la réécriture des intertitres, une variation moderne du thème de Marie-Madeleine, le film, qui, contrairement à la version de 1922, fit scandale, fut interdit dès 1934. Des restaurations entamées dans les années 60 lui ont cependant rendu sa longueur originelle de 130 minutes environ. Longueur par ailleurs étonnante à une époque où seule une dizaine de films par an atteignaient ou dépassaient les 120 minutes - et encore, il s’agissait de productions de prestige et à gros budget (Metropolis, Ben Hur, Cabiria, Napoléon, Les Dix Commandements ... ). Mais il est vrai que le diptyque adapté avait, sur scène, une longueur de 7-8 heures.