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Pabst et Louise Brooks sur le tournage (c) D.R.
L’accueil critique du film fut mitigé et l’est resté jusqu'à récemment. A sa sortie, Siegfried Kracauer, entre autres, lui reprocha d’être plus attaché à la représentation des conventions visuelles qu’à l’approfondissement social de la critique des classes qu’il met en scène. Et derrière les louanges adressées sans cesse au jeu " moderne " de sa vedette se dessine en filigrane la critique du cabotinage de Kortner et du réalisateur qui l’aurait laissé faire. C’est cependant l’opposition de deux styles aussi différents qui donne toute sa saveur aux rapports Schön / Lulu.

Si pourtant, dans l’ensemble, le film a bien énormément vieilli, c’est surtout en raison de son mélange formel d’expressionnisme ( overstatement ) et de Kammerspiel ( understatement ) ou plutôt de symbolisme et de réalisme, moins franc que dans les pièces d’origine. Mais il est aussi, à l’instar de La Passion de Jeanne d’Arc (Dreyer) le produit hybride et lent (surtout dans sa version restaurée/intégrale) d’une époque charnière de l’Histoire du Cinéma, le passage au parlant, époque où de nombreux cinéastes, au lieu de réaliser des films entièrement muets ou des films tout à fait parlants, réalisent des films auxquels la parole manque. La comparaison, en terme d’aise du cinéaste, de Loulou avec Le Journal d’une Fille perdue  - également connu sous le titre Trois Pages d’un Journal - ou de La Passion de Jeanne d’Arc avec Pages arrachées au Livre de Satan, films résolument muets, est, de ce point de vue-là, tout à fait éloquent. Ce n’est pas tant le fait qu’il s’agisse de l’adaptation d’une pièce de théâtre qui gêne Pabst aux entournures, mais le fait qu’il y a finalement moins à montrer que ce qu’il montre. Le film est très découpé, il abonde en plans et raccords de regards, mais cette multiplication muette de champs-contrechamps expressifs paraît déplacée en raison de l’absence de renoncement total au dialogue. Le cinéma muet a besoin de la mise en scène des regards, le cinéma parlant peut, à la limite, s’en passer. Loulou est découpé comme un film muet, mais mis en scène comme un film parlant. Et, en tant que tel, il se serait suffi d’une centaine de plans en moins.

  M Le Maudit (c) D.R.
Ce qui n’a pas vieilli, finalement, c’est Louise Brooks. Ce n’est cependant pas Louise Brooks par la grâce de la seule Louise Brooks, comme beaucoup de ses adulateurs ont pu l’écrire, mais Louise Brooks par la grâce de Georg Wilhelm Pabst, qui a eu la bonne idée, non pas de la diriger geste par geste et regard par regard mais, comme l’actrice en témoigne elle-même, de lui laisser la bride sur le cou, après l’avoir, au préalable, mentalement mise en condition à chaque nouvelle séquence. Ce parti-pris, " Actor’s Studio " avant l’heure, fut d’ailleurs facilité par le fait que Louise Brooks ne parlait pas un mot d’allemand et que ses partenaires ne comprenaient pas l’anglais.

Notons enfin que le plan de l’ombre que Jack l’Eventreur projette sur une affiche le recherchant a inspiré, bien entendu, le plan équivalent de M. le Maudit.

Et puis, finalement, une question que personne, à ma connaissance, n’a encore pris la peine de creuser : que signifie exactement cette menorah, ce chandelier à sept branches bien en évidence à l’arrière de nombreux plans, que Schön possède chez lui ? Est-ce le signe d’une judéité superficielle, Schön représente-t-il le type même du Juif allemand - et plus encore : berlinois, justement - totalement assimilé, parvenu et bourgeois, qui, tout en cultivant quelques ultimes symboles visuels de la foi de ses ancêtres, est obsédé par le fantasme d’une " rédemption " définitivement déjudaïsante offerte par le sexe de la femme non-juive ? Pabst n’était pas antisémite et le personnage de Schön n’a rien de grossièrement caricatural : il est plutôt pathétique. Est-il, lui aussi, un de ces Juifs allemands si obsédés par leur auto-germanisation au point de devenir aveugle à la réalité des menaces nazies ? Dans un film où, enracinement dans le muet oblige, la symbolique des objets reste forte, une menorah au domicile d’un grand bourgeois du Berlin d’avant-Shoah n’a rien, mais alors rien d’innocent.






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