POINT DE VUE SUR LE DECOR
Délibérément
expressionniste, Le Petit Poucet bouscule la
tradition naturaliste du cinéma français. Film
de studio et fier de l'être, son décor ne craint
de révéler ni les coups de scie qui façonnent
les arbres, ni les coups de pinceaux - même virtuels
- qui font surgir les nuages.
Rares sont les réalisateurs
français, comme Jacques Demy avec Peau d'Ane,
à s'être aventuré dans le territoire magique
et inquiétant du conte de fée. Idem pour le
fantastique, avec Caro et Jeunet dont la Cité des
enfants perdus se situait dans un imaginaire joyeusement
inspiré, mais qui restait malgré tout vraisemblable.
Quant à la précédente
version du Petit Poucet (Michel Boisrond, 1972), également
tournée en studio, elle ressemble à un catalogue
de jouets d'enfants surdimensionnés. Ce film (justement
?) oublié offre tout de même une consolation
en la truculente composition de Jean-Pierre Marielle dans
le rôle de l'ogre.
Ici, Olivier Dahan plonge
Poucet et ses frères, en même temps que le spectateur,
dans un univers irréaliste et pictural qui devient
le moteur du film, et où la stylisation est poussée
jusqu'à l'abstraction.
Le décor s'appuie
sur le mélange de techniques anciennes et nouvelles,
jusqu'à constituer un résumé de l'histoire
du décor de cinéma, des toiles peintes primitives
aux dernières technologies numériques.
La forêt a été
reconstituée selon le principe bien connu : jouer le
réalisme au premier plan puis, pour des raisons d'échelle
et de budget, réduire et simplifier les éléments
au lointain en faisant jouer la perspective. Le décor
utilise et superpose plusieurs techniques chères aux
décorateurs : éléments reproduits à
l'identique, silhouettes découpées, fonds peints,
maquettes en volume, matte painting (1), auxquelles
viennent s'ajouter les retouches numériques.
Mais ici, au lieu de se
contenter de compléter l'image, ils en soulignent le
côté fabriqué tant désiré
par Olivier Dahan, la retravaillent en imitant la patte du
peintre et en renforcent l'aspect pictural. La technique et
l'artifice sont cette fois affirmés au lieu d'être
dissimulés.
La filiation expressionniste
ne se trouve pas seulement dans les formes stylisées
et torturées. Souvent vouée au noir et blanc,
elle s'exprime ici à travers une succession d'ambiances
colorées qui dominent les moments successifs de l'action,
et forment des fonds monochromes à la manière
des bandes dessinées. Aux lueurs bleutées qui
accompagnent les apparitions magiques de Rose, succèdent
les tons sombres de la forêt menaçante et de
la ferme ravagée. Le rouge sang inonde le territoire
de l'ogre, tandis qu'un jaune solaire envahit l'épilogue,
du château jusqu'au costume de la Reine (Catherine Deneuve,
qui semble ici poursuivre sa dernière scène
de Peau d'âne).
|