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Le Petit Poucet (c) D.R. LE PETIT POUCET
d'Olivier Dahan
Par Alexandre TSEKENIS


POINT DE VUE SUR LE DECOR

Délibérément expressionniste, Le Petit Poucet bouscule la tradition naturaliste du cinéma français. Film de studio et fier de l'être, son décor ne craint de révéler ni les coups de scie qui façonnent les arbres, ni les coups de pinceaux - même virtuels - qui font surgir les nuages.

Rares sont les réalisateurs français, comme Jacques Demy avec Peau d'Ane, à s'être aventuré dans le territoire magique et inquiétant du conte de fée. Idem pour le fantastique, avec Caro et Jeunet dont la Cité des enfants perdus se situait dans un imaginaire joyeusement inspiré, mais qui restait malgré tout vraisemblable.

  Le Petit Poucet (c) D.R.

Quant à la précédente version du Petit Poucet (Michel Boisrond, 1972), également tournée en studio, elle ressemble à un catalogue de jouets d'enfants surdimensionnés. Ce film (justement ?) oublié offre tout de même une consolation en la truculente composition de Jean-Pierre Marielle dans le rôle de l'ogre.

Ici, Olivier Dahan plonge Poucet et ses frères, en même temps que le spectateur, dans un univers irréaliste et pictural qui devient le moteur du film, et où la stylisation est poussée jusqu'à l'abstraction.

Le décor s'appuie sur le mélange de techniques anciennes et nouvelles, jusqu'à constituer un résumé de l'histoire du décor de cinéma, des toiles peintes primitives aux dernières technologies numériques.

La forêt a été reconstituée selon le principe bien connu : jouer le réalisme au premier plan puis, pour des raisons d'échelle et de budget, réduire et simplifier les éléments au lointain en faisant jouer la perspective. Le décor utilise et superpose plusieurs techniques chères aux décorateurs : éléments reproduits à l'identique, silhouettes découpées, fonds peints, maquettes en volume, matte painting (1), auxquelles viennent s'ajouter les retouches numériques.

Mais ici, au lieu de se contenter de compléter l'image, ils en soulignent le côté fabriqué tant désiré par Olivier Dahan, la retravaillent en imitant la patte du peintre et en renforcent l'aspect pictural. La technique et l'artifice sont cette fois affirmés au lieu d'être dissimulés.

Le Petit Poucet (c) D.R.
La filiation expressionniste ne se trouve pas seulement dans les formes stylisées et torturées. Souvent vouée au noir et blanc, elle s'exprime ici à travers une succession d'ambiances colorées qui dominent les moments successifs de l'action, et forment des fonds monochromes à la manière des bandes dessinées. Aux lueurs bleutées qui accompagnent les apparitions magiques de Rose, succèdent les tons sombres de la forêt menaçante et de la ferme ravagée. Le rouge sang inonde le territoire de l'ogre, tandis qu'un jaune solaire envahit l'épilogue, du château jusqu'au costume de la Reine (Catherine Deneuve, qui semble ici poursuivre sa dernière scène de Peau d'âne).