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Le Dictateur (c) D.R. LE DICTATEUR
de Charles Chaplin
Par Nadia MEFLAH


A l’occasion de la sortie en DVD, chez MK2 Edition, du film Le Dictateur de Charlie Chaplin.

LA VOIX HUMAINE ?

Nous sommes entrés dans ce temps où tout aveu nous soumettra bientôt au désir qu’a la domination que nous lui soyons transparents. Et où toute réserve semblera une conspiration "
De la domination, Michel Surya (Editions Farrago, page 32)


  Le Dictateur (c) D.R.

Que peut le cinéma pour les démocraties en danger ? Est-ce qu’un plan-séquence de plus de six minutes sur un homme qui nous parle a-t-il un effet réel politique et social sur notre vie, au-delà de son caractère émotif et sensitif premier ? Le cinéma est-il un moyen artistique valable sur le plan politique ? Est-il performatif ?

Autant de questions d’actualité (conflits de guerre et de terrorisme en Occident et Moyen Orient) qui nous reviennent grâce à Charles Chaplin et son film Le Dictateur. Roland Barthes écrit en 1975, soit près de trente ans après la sortie du film en France " A quoi sert l’utopie ? A faire du sens. Face au présent, à mon présent, l’utopie est un terme second qui permet de faire jouer le déclic du signe : le discours sur le réel devient possible, je sors de l’aphasie où me plonge l’affolement de tout ce qui ne va pas en moi, dans ce monde qui est le mien (1)" Or deux états du monde ne vont pas en 1938 lorsque Charles Chaplin fait enregistrer le 12 novembre de cette année au département des Copyrights de la bibliothèque du Congrès de Washington le dépôt d’un scénario de film portant comme tire " Un drame en cinq actes et un épilogue intitulé Le Dictateur. Ce sera la première version de ce qui sera son premier long-métrage parlant.

Tout d’abord, son monde de cinéaste arc-bouté sur une cinématographie de la pantomime et du silence n’est plus. Son alter ego (Charlot en France, The Tramp, le vagabond pour les anglophones, Carlito pour les hispaniques) mutique semble s’enrouler dans la spirale de la société capitaliste sans savoir exactement quels horizons d’attente espérer. Il a accédé à une conscience sociale, définie brillamment par Barthélemy Amengual. (2) Il faudra une guerre mondiale et la terreur du nazisme pour que, de ce dos qui clôt Les Temps modernes, adviennent une voix qui parle frontalement, quatre ans plus tard. Mais à quel prix semble nous demander Chaplin durant près de deux heures de film ? Celui de la mort en direct d’un archétype mondialement célèbre aussi bien reconnu par l’adulte que l’enfant. Et c’est par le truchement de sa gorge que se produit cette déflagration. Charlot meure sous nos oreilles plus que sous nos yeux et dès lors, le cinéma de Chaplin devient davantage une affaire de son que de mime. Le glissement s’est opéré dès la crise de 1929 où Les Temps Modernes (1935) sonorisait le pouvoir de la société capitaliste. Le cinéaste dans ce film utilise différentes machines parlantes, que ce soit une radio, une télévision branchée sur des caméras surveillant les ouvriers à tous les postes (jusqu’aux toilettes où l’on réalise que tout le corps de l’ouvrier jusque dans ses déchets appartient à l’œil et à la voix du grand patron) ou un phonographe comme instruments modernes de contrôle et d’emprise dans un monde encore muet alors que son personnage de vagabond mime. On a longtemps cru que les hésitations du cinéaste à venir au parlant témoignait d’une faiblesse technique, d’une incapacité intrinsèque à utiliser la parole et manier les dialogues. Or le refus du cinéaste qui s’est longuement expliqué dans la presse à l’époque se base sur un constat esthétique : Charlot appartient au monde du mime ; en cela c’est une figure abstraite et donc universelle. Pour maintenir cette universalité, le cinéaste avait compris qu’il devait muter son alter ego en autre chose. Ce déchirement du monde (celui de Charlot) le film suivant va le mettre en scène de manière plus radicale.