Le dernier plan
donne naissance à l’homme Chaplin, au citoyen qui
parle directement à une assemblée invisible
de spectateurs sans qu’il ne puisse obtenir aucune réponse.
Cinéma indirect où il retrouve l’anthropologie
du cinéma des origines, celui qui donnait à
percevoir des individus. Mais ce plan annonce le journal
télévisuel où l’homme politique au
même rang que l’annonceur ou le journaliste peut s’adresser
chaque soir à des millions de téléspectateurs.
Ce plan fixe cadré en plan moyen poitrine sur un
homme qui parle en regardant droit devant lui, ce fameux
regard caméra, tabou du cinéma classique hollywoodien,
met en danger l’artiste comme l’homme Chaplin à un
moment donné dans le monde et aussi bien en cinéma
où ce film là n’était pas le bienvenu.
Un plan indécent pour l’époque. Nombreux furent
les proches du cinéaste qui lui déconseillèrent
fortement de ne pas s’obstiner dans la réalisation
de ce final, au nom de l’esthétique (5), tout
comme la critique de l’époque qui le taxa de sentimentalisme
confus et naïf. Or en 2003, ce discours filmé
demeure un moment singulier et complexe. Singulier dans
cette frontalité assumée où l’impossibilité
du face à face en temps réel qu’appelle de
toute ses peaux (en sueur) le cinéaste est bouleversant.
Je retrouve ce sentiment d’incertitude existentielle (la
réaction du public) à travers tous le cinéma
de Chaplin qui sans cesse interpelle son spectateur pour
s’assurer de sa propre existence (le dernier plan de City
Light - 1930 - la séquence finale du cabaret
dans Limelight – 1951 - entre autres).
Complexe, car rien n’assure que cette foule qui l’applaudit
n’est pas emportée davantage par la conviction de
son orateur que par ses principes démocratiques.
" The crowd is like a monster without a head "
Calvero, Limelight, dix ans plus tard.
1)Roland
Barthes par Roland Barthes, éditions
Les écrivains de toujours, page 80
2) " En Charlot, le
type est une personne (…) un homme condamné
à affronter des situations d’homme, des
problèmes d’homme, avec une âme et
des moyens d’enfants, voilà l’expression
chaplinienne et combien bouleversante, du conflit
entre la personne et le type dont se nourrit la
comédie " la réalité
des corps filmés, charlot entre le type
et la personne, dans Le réalisme au cinéma,
anthologie de textes de Barthélemy Amengual,
éditions Nathan, p.810
3) A ce sujet, lire l’excellente
thèse d’André Bazin dans son ouvrage
Charles Chaplin, éditions Ramsay
4) Le Triomphe de la volonté
(Triumph des Willens) documentaire de Léni
Riefenstahl réalisé en 1934 avec
des décors d’Albert Speer, l’architecte
nazi d’Hitler. Ce film de deux heures est un hymne
au parti national socialisme qui réunit
son congrès à Nuremberg en septembre
1934. Successivement, le film s’attache à
décrire les préparatifs, l’arrivée
d’Hitler, ses discours et la retraite aux flambeaux
sur laquelle s’achève la manifestation.
La cinéaste obtint des moyens techniques
à la hauteur de ses ambitions esthétiques.
Tout concoure à magnifier de manière
spectaculaire et grandiose l’idéologie
du parti ainsi que son Furher qui descend du ciel
tel un dieu…
5) " Il faisait un discours
sur l’humanité et nous eûmes tout
un débat là-dessus…Cela ne faisait
pas partie du film. C’était inesthétique.
Cela ne collait pas, que Charlie termine comme
ça, sur de la propagande…Les acheteurs
du film lui ont dit " vous allez perdre un
million de dollars… " Et il a répondu
" Je me moque d’en perdre cinq. " Il
l’a fait et bien entendu ça lui a coûté
assez cher. " Tim Durant assistant de Chaplin,
dans Chaplin, sa vie son œuvre de David Robinson
Titre
: Le Dictateur Réalisateur
: Charlie Chaplin Acteurs
: Charlie Chaplin , Paulette Goddard , Jack Oakie
, Reginald Gardiner Editeur
: Mk2 Public légal
: tous publics Format image
: 4/3 format respecté 1.33 Qualité
: Stéréo, noir et blanc Durée
: 120 minutes
Bonus
: le film en copie restaurée, le chapitrage
en galerie photos, les bandes-annonces, la filmographies
de Charlie Chaplin en images, The Tramp and
the Director le documentaire de K. Brownlow
qui fut présenté au Festival de
Berlin 2002 (55 mn), le tournage filmé
en couleurs par Sydney Chaplin (25 mn), la scène
coupée de Sunnyside (7 mn), la galerie
d'affiches du film, le livret de 4 pages ainsi
qu’un extrait de Monsieur Verdoux