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Mystic River (c) D.R. MARKET IT
L’affiche du film Mystic River
Par Nicolas JOURNET


NOIRE EST LA BEAUTE

On pourrait croire qu'il suffit d'une bonne idée pour faire une bonne affiche. Qu'il suffit d'inverser les lois de la gravité et de mettre les personnages à l'envers, comme c'est le cas pour celle de Mystic River, pour attirer l'œil du passant. C'est en partie vrai. Il est clair que si l'affiche du dernier film de Clint Eastwood se distingue des milliers d'images que nous croisons chaque jour sans vraiment les voir, c'est en très grande partie par la position incongrue des silhouettes représentées. Le sens habituel de lecture est brouillé. Le balayage vertical que l'on réalise d'ordinaire de manière intuitive selon un trajet allant du haut vers le bas est rendu impossible par la mise par-dessus tête des protagonistes. Du fait de cette originalité graphique, l'attention du spectateur est immédiatement captée. Le phénomène est extrêmement court, pas plus de deux ou trois secondes, mais ce minuscule intervalle permet au cerveau d'écarter les pensées en cours et de se concentrer uniquement sur l'affiche. D'emblée, par la grâce d'une idée qui semble nouvelle voire presque révolutionnaire, cette dernière remplit donc son premier objectif et peut-être le plus dur en ces temps de boulimie audiovisuelle : susciter l'intérêt du passant.


Seulement, l'affiche de cinéma ne peut pas se contenter de ne séduire qu'un instant. Il faut qu'elle pousse l'observateur à se rendre dans une salle de cinéma alors qu'il n'en avait pas forcément envie une minute plus tôt. Et là, la bonne idée de départ ne suffit plus. Il ne s'agit plus de trouver des artifices pour arrêter le regard sur l'affiche, il s'agit de faire durer ce visionnage, de faire passer un message, par toute une série de codes, qui puisse pousser quelqu'un à débourser un minimum de six euros pour deux heures passées assis dans un fauteuil. Pour parvenir à cette fin que peu de créateurs atteignent, il faut soigner les détails. Et les détails, c'est là la grande force de l'affiche de Mystic River. Collant au style ample et classieux de Clint Eastwood, la police choisie pour la composition des lettres est d'une très grande sobriété. Les mots du titre ou les noms des acteurs sont écrits avec des lettres en bâtons classiques sans fioritures, avec pour tout effet de style un joli dégradé qui fait lentement sombrer les mots dans l'obscurité. En outre, les lettres sont très petites par rapport à la moyenne et le titre occupe au final une superficie très réduite. Mais par contraste du blanc, couleur choisie pour les lettres qui le composent, sur le noir du fond, il ressort, bien plus que s'il s'étendait sur toute la surface de l'affiche. Le tassement des deux mots - ils ne sont séparés l'un de l'autre que par un minuscule espacement - renforce cet aspect de bloc déjà suscité par l'écriture en bâtons. L'impression de stabilité, de "force tranquille", comme dirait Jacques Séguéla, qui se dégage de l'affiche tient beaucoup à ce titre présenté de manière extrêmement simple - n'importe qui peut le faire sur un logiciel de mise en page -, mais parfaitement pensée.