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Si l'écriture est efficace, la couleur l'est
tout autant. Le partage pratiquement à part égale entre le
noir et une sorte de bleu gris très beau situe immédiatement
le genre de Mystic River. Ce sera un film policier,
c'est sûr. Autre donnée importante pour ce qui est de la couleur
: le choix de noircir les silhouettes. Cette décision aurait
pu être un inconvénient majeur, puisque les vedettes du film
se trouvent mises d'entrée hors-jeu. Difficile alors de tabler
sur l'appui photogénico-médiatique de telle ou telle star
pour augmenter le nombre d'entrées. Surtout que Sean Penn
ou Kevin Beacon, même s'ils ne sont pas les acteurs mâles
les plus "bankables" du cinéma américain, drainent
quand même avec leurs noms et surtout avec leurs visages un
certain nombre de spectateurs dans les salles. Mais en renversant
les canons habituels, en présentant les acteurs principaux
de dos qui plus est en noir, les graphistes prennent certes
un risque, mais surprennent un spectateur auquel on facilite
trop souvent la tâche et qui ne demande au contraire qu'à
être bousculé. Et puis, avec ces trois silhouettes anonymes,
la curiosité pousse le cinéphile à deviner qui se cache derrière
la première, deuxième et troisième ombre. Si l'on retourne
l'affiche, si on remet les acteurs la tête en haut (oui je
sais, c'est pas très facile de réaliser cette opération dans
le métro ou dans la rue à part pour ceux qui savent se tenir
sur les mains !), le jeu s'avère plus facile que prévu.
Par les attitudes ou les coiffures, il paraît évident que
Kevin Bacon est à droite et Sean Penn à gauche. Manches relevées
un au-dessus du poignet, posture de rocker avec une prise
d'appui marquée sur la jambe gauche, cheveux abondants et
un peu fous, le style de la silhouette de droite correspond
tout à fait à l'image qu'on se fait de Sean Penn, du personnage
de baroudeur, de mauvais garçon au cœur tendre qu'il a su
mettre en place au fil de sa carrière. Pour l'ombre de gauche,
le processus déductif est identique. Mains dans les poches,
épaules solides mais relâchées, coiffure avec une légère banane,
comment mieux résumer la place qu'occupe Kevin Bacon dans
l'inconscient collectif, ce côté dandy violent qu'il entretient
et qui en fait un acteur à part dans le champ cinématographique.
Pour ce qui est de Tim Robbins, difficile de le repérer, à
part par élimination. L'interprète de The Player est
moins étiqueté que ses deux camarades, moins repéré ce qui
est à la fois un défaut - il lui manque un rôle marquant pour
imprimer définitivement la rétine -, et un gage de qualité
- il est difficile de lui plaquer tellement les personnages
qu'il a incarnés à l'écran sont différents. Mais globalement
il est assez surprenant de voir combien certains acteurs n'ont
pas besoin d'être exposé de manière réaliste, par exemple
à l'aide de photographies, pour dégager leur identité propre,
pour faire fonctionner leur aura.
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Les concepteurs de l'affiche auraient très
bien pu se contenter de faire la part belle à ces trois acteurs.
Sans que cela soit choquant tellement l'histoire repose sur
ce trio. Mais Clint Eastwood a répété dans chacune de ses
interviews de promotion son désir de tourner un film choral.
D'où la présence en tête d'affiche, au sens propre du terme,
de six noms et non trois. Laurence Fishburne, échappé de Matrix,
Marcia Gay Harden et Laura Linney se voient mis au même rang
que les trois personnages principaux. Certes, une hiérarchie
est établie : le casting se déroule de gauche à droite, dans
le sens de lecture, selon un classement qui ne doit rien au
hasard puisqu'il épouse l'importance relative des rôles attribués.
Mais tous les noms et prénoms sont écrits de la même manière
: les prénoms en minuscules bleues et les noms en majuscules
blanches. Le procédé rappelle celui adopté pour l'affiche
du Mystère de la chambre jaune des frères Podalydès,
en un peu plus élaboré toutefois, avec une coloration et une
mise en forme plus complexes. Mais est-il nécessaire de rappeler
combien cette démarche est rare ? Comme il est rare d'ailleurs
que le nom du réalisateur soit écrit en si petit. La mention
“ Un film de Clint Eastwood ” est inscrite dans
une police et une couleur identique à celle choisie pour les
prénoms des acteurs et actrices !
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