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Donnie Darko (c) D.R. LES KIDS DANS LE CINE US
Quelques pistes de réflexion
Par Matthieu CHEREAU


Le cinéma indépendant américain s’intéresse ces temps-ci d’une manière particulièrement appuyée à ce qu’il est convenu d’appeler les kids. On parlera par commodité de jeunes ou d’adolescents en remarquant dés à présent que le terme « kid » réfère à une population plus large allant des prémisses de l’adolescence à celles de l’âge adulte. Jusque très récemment, divers documentaires ou fictions librement adaptées de faits réels ont directement adressé le sujet en traitant de ces jeunes individus non pas nécessairement comme des personnages mais plutôt comme les témoins d’un monde bel et bien réel. Leur corps, leur discours et leurs crises ont fait l’objet d’une attention accrue, le moindre de leur mouvement prenant sous le regard de la caméra la valeur de signe sans qu’on ait pour autant à l’interpréter ni à le faire parler. Consacré comme l’un des objets cinématographiques privilégiés du cinéma indépendant américain, l’adolescent ne l’a été que pour servir du même coup d’emblème sociologique et politique.

  Nowhere (c) D.R.

Ce phénomène n’est pas neuf. Il faut en effet remonter au début des années 90 pour trouver les premiers films où les jeunes font l’objet d’une étude approfondie. Sur fond de vague grunge triomphante, Gregg Araki tourne The livin’ end. Inscrivant son film dans la longue tradition des road-movies, il adopte d’emblée un discours radical en mettant en scène deux séropositifs en route vers leur propre fin. Le propos est clair : no future. Les 90’s renouent avec le mot d’ordre du mouvement punk dont les adolescents se font, sans nécessairement en avoir conscience, les portes drapeaux. Un seul détail les différencie de leurs pairs : ils n’ont plus le sentiment d’appartenir à une quelconque communauté et ne revendiquent plus rien, se contentant de subir ce dont ils n’ont fait qu’hériter (le sida, le krach boursier de 1987 consécutif de la libéralisation du marché, la crise de la société de consommation). The Livin’ end annonce déjà la « Teen Apocalypse » trilogy qui reprendra les thèmes de la drogue, du sexe et surtout de la mort. Nowhere, le dernier opus de la trilogie nie sur un ton définitivement post-moderne les lieux, les genres, les époques et du même coup l’avenir. L’adolescent se fait le héros (héraut) d’une société en décrépitude, sa propre fin préfigurant celle, fantasmée, du reste du monde. De fait, Araki s’affirme, à travers ses fresques nihilistes et baroques, comme le premier réalisateur à exprimer à travers les jeunes le malaise qui frappent l’ensemble de la société.

Kids (c) D.R.

De l’autre côté des Etats-Unis, Larry Clark sort en 1995 le désormais célèbre Kids. Écrit par un jeune garçon (Harmony Korine n’a alors que 19 ans) et interprété par des adolescents encore mineurs, ce film traite presque exclusivement d’eux. Kids, et par la suite Another day in paradise, Bully et Ken Park, parlent chacun à leur manière de la crise que traversent les jeunes ; une crise qui, loin de s’expliquer seulement par leur âge, traduit quelque chose de plus profond, de plus grave aussi, dont ils ne sont en définitive que des symptômes. Car c’est bien d’un symptôme qu’il s’agit, des rues de New York aux maisons de Tulsa (la ville où se déroule Gummo), l’adolescent est l’ultime produit d’un monde dont il accuse le dérèglement. Il suffit de songer à Harmony Korine qui, jouant le rôle d’un adolescent dans son premier film, passe en revue les lourds antécédents de sa famille pour rendre compte de son malaise présent. Seulement il n’est question dans Gummo ou Julian Donkey Boy, que de l’Amérique marginale, celle des freaks livrés à eux-mêmes et que personne n’intéresse. De même Terry Zwigoff dans Ghost World, traite davantage des jeunes nerds que des kids en général. Or le kid, entendu comme symptôme, n’est pas seulement le produit de la pauvreté ni de l’isolement (le freak et le nerd sont en ce sens des sous-catégories du kid) mais d’un problème plus large et diffus qui, ignorant les classes sociales comme la géographie, affecte l’ensemble des Etats-Unis.