Objectif
Cinéma : Il n' y a pas
un écart entre l'image où ta mère parle
et celle où ta sur est au téléphone ?
Rémi Lange : Ce
qui est intéressant pour moi, c'est que la caméra
soit là, que la présence de la caméra
s'impose comme telle, qu'elle fasse partie du procédé.
Objectif Cinéma : Vous
regardez les rushes avec un ami. Tu as vu l'image alors que
tu as vécu la réalité. Vous parlez du
faux...
Rémi Lange : C'est
la première fois qu'on l'évoque. La présence
de la caméra change la réaction des gens. Je
commence à avoir un regard critique sur ce que je fais,
par l'intermédiaire du copain. A ce moment là
j'avais le regret de n'avoir pas fait le film en caméra
cachée. J'aurais pu le faire. Tout le film pour moi
n'est intéressant que s'il y a ces scènes qui
posent le problème du vrai et du faux devant une caméra.
J'intègre cette question au film un peu plus loin,
dans la séquence au téléphone qui est
l'équivalent de la caméra cachée, enregistrant
quelqu'un à son insu sans qu'il le sache. Tout le film
ne vaut par cette séquence de téléphone
caché qui pose le problème de la vérité,
du mensonge dans le fond du film (ma mère qui ment
ou mon père qui ment) et le mensonge dans la forme
(le jeu devant la caméra). Un acteur peut très
bien dire beaucoup de choses sur lui-même en endossant
un personnage imaginé, et inversement dans un documentaire,
quelqu'un qui dit " je " peut jouer un
personnage. A partir du moment où j'ai fait le film,
tout le monde croit que ce qu'on voit à l'image, c'est
moi, mais c'est un personnage que je joue moi-même,
c'est une image de moi très différente de ce
que je suis dans la réalité. Bien que la tentation
soit grande dans un film autobiographique de dire que le narrateur
se confond avec l'auteur, il faut quand même mesurer
les instances évoquées, si elles sont toujours
superposées dans une uvre autobiographique. Ce
sont des points qui bougent.
C'est pour ça aussi que
j'ai détesté les critiques qui disaient " Rémi
Lange est courageux, sadique, cruel ". Ce n'est
pas moi qui suis courageux ou cruel, c'est le personnage que
je joue à ce moment là . A partir du moment
où tu es un être humain, tu peux être à
la fois courageux ou pas cruel. Les gens veulent te figer
dans un comportement donné. Certains ont vu en moi
dans Omelette quelqu'un de positif. Certaines personnes
qui ont vu Les yeux brouillés détestent le film
parce que cela a caché l'image idyllique, naïve,
qu'il s'était faite de moi ou que je leur avait donnée
de moi.
A l'époque, c'était l'image que je voulais donner
de moi, il y avait le but militant de faire un film qui puisse
être vu par tout le monde, et je ne voulais surtout
pas montrer une image négative de moi-même, mais
que l'homosexualité pouvait être une relation
d'amour, de fidélité, stable, équilibrée,
qui n'était pas basée sur le sexe. J'ai voulu
montrer une image plutôt positive pour parler d'un langage
connu de la classe dominante;
Objectif Cinéma : L'avenir...
Rémi Lange : J'ai
d'autant moins la nécessité de faire un film
que j'ai réalisé celui-là. Intellectuellement,
j'en suis satisfait.