Objectif Cinéma : "Passionnément",
votre dernier film, est un film qui échappe aux normes,
un peu comme "Double messieurs"de Jean-François
Stévenin auquel vous aviez participé (même
si les deux films n'ont absolument rien à voir)...
Bruno Nuytten : Je
n'ai pas officiellement participé à l'écriture
de "double messieurs" J'avais beaucoup aimé
"passe-montagne" le premier film de Jean-François
Stévenin, je l'ai rencontré sur le tournage
de "barocco" où il avait un petit rôle.
On est devenus assez proches. Il avait depuis un moment
en tête son histoire de "double-messieurs"
qu'il m'avait raconté un soir. Rien n'était
écrit. Stévenin a un rapport assez compliqué
à l'exécution des choses : il préfère
rêver longtemps sur la formation ou la formulation
d'une chose mais l'exécution l'angoisse terriblement.
Un jour, avec Jacky Berroyer, inconnu à l'époque,
on est partis dans le Jura de Stévenin. On passait
nos journées sur une barque au milieu d'un lac, et
Jean-François nous racontait cette histoire Jacky
et moi participions à son élaboration. Stévenin
devait enregistrer ça quelque part. Et puis ça
n'a pas avancé. Un jour, j'ai envoyé un synopsis,
une continuité un peu dialoguée, à
Jean-François en lui disant "voilà ce
que tu nous a raconté dans la barque, je ne fais
que le restituer."
Et puis il ne m'a jamais vraiment rappelé par rapport
à ça. Je crois que ça l'a pas du tout
intéressé que je m'en mêle autant. Quinze
jours avant de commencer le tournage, il est venu me voir
en me demandant de ne pas faire la photo de son film. Je
crois qu'il a eu peur d'un trop grand engagement de ma part
sur ce film. Ce que je peux très bien comprendre
maintenant. Mais à l'époque ça m'a
blessé, comme peuvent le faire des blessures amicales.
Comme il a fait faire la photo par Pascal Marty qui avait
été mon assistant, on restait dans la même
famille.
J'ai toujours eu une façon bizarre de fonctionner
quand j'étais chef-opérateur. Il fallait vraiment
que je sois acteur du film à ma façon.
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Si je ne l'étais pas, ça
m'ennuyait à mourir. Au début, j'ai eu la
chance de l'être assez souvent. Je m'investissais
beaucoup dans des projets pour lesquels je n'étais
pas forcément sollicité au départ,
mais je crois que mon enthousiasme encourageait d'une certaine
manière les projets des gens que je croisais, et
réciproquement. Cela a donné lieu à
des rencontres très fortes et à des résultats.
Du jour où j'ai été sollicité
comme technicien "professionnel", je ne me sentais
plus à ma place, je m'ennuyais à mourir, je
ne comprenais pas ce qu'on me demandait. Et en plus les
résultats n'étaient pas bons. J'ai d'ailleurs
commencé alors à avoir peur et je me suis
même dit que je n'étais pas fait pour ce boulot-là.