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Objectif Cinéma : A partir de quel moment avez-vous ressenti cela ?

Bruno Nuytten : C'est venu très tôt. Au bout d'une dizaine de films, alors que j'en ai fait en tout que trente ou trente-cinq. Au bout de cinq ans de pratique, j'en avais déjà marre. J'essayais surtout désespérément de retrouver le désir que j'avais eu à l'origine dans des situations qui me ressemblaient davantage


Objectif Cinéma : Comment a pris corps le projet de "passionnément" ?

Objectif Cinéma (c) D.R.

Bruno Nuytten : Il y avait cette envie d'être "à côté" en se disant qu'être "à côté" c'est aussi être quelque part, que ce n'est pas forcément la place la plus inusitée qui est la moins intéressante. Quelquefois c'est d'ailleurs la place que les gens cherchent aussi en allant au spectacle ou en lisant un livre. On peut prendre du plaisir à être "à côté de la plaque" car on est tellement trop souvent sur la plaque que ça finit par être un peu usant.

Il y avait aussi une ambition plus secrète : faire un film qu'on aurait retrouvé, un film qui daterait d'il y a quinze ans, qui n'aurait jamais été sorti à l'époque, qu'on aurait retrouvé. Enfin, cette fixation sur deux faits divers : le premier remonte à quinze ans et l'autre était complémentaire et plus récent.


Objectif Cinéma : Quels étaient ces faits divers ?

Bruno Nuytten : Le plus récent, c'était "les amants du Paris-Vintimille" : un jeune homme de vingt-cinq ans a une liaison amoureuse et passionnelle pour une jeune fille de quinze ans. On n'a jamais très bien compris ce qui s'est passé : alors qu'ils avaient l'accord de leurs parents, et qu'ils attendaient la majorité de la jeune fille pour pouvoir se marier, ils se sont jetés ensemble sous un train. J'avais vu quelques articles sur cette histoire, arrivée à la fin des années 80. Comme les parents étaient meurtris par la mort de leurs enfants, ils se sont livrés un peu à la presse, on en a parlé. Alors que dans le fait divers d'origine de mon film (les deux voitures qui se percutent), j'en ai entendu très peu parler, je pense que les familles ont préféré étouffer cette histoire.

  Objectif Cinéma (c) D.R.

Ces deux faits divers ont rejailli sur des choses intimes et personnelles de l'époque et me mettaient dans l'urgence de tourner cette histoire en 1985. J'aurais aimé pouvoir tourner ce film à cette époque. Puis le temps a passé, j'ai oublié ce projet, jusqu'à ce que Jean-Louis Livi s'y intéresse. On se demande alors ce qui peut intéresser un producteur dans cette histoire, quinze ans après... C'est très embêtant d'avoir dans les mains un sujet qui date trop. Il faut alors faire un livre et en parler comme d'un film qui ne se fera jamais. Mais vouloir le réaliser quinze ans plus tard est un tout petit peu difficile : c'est comme rouvrir une plaie à vif.

Mon grand problème est d'avoir toujours été en décalage par rapport à ce que je voulais faire. Quand j'ai fait "Albert souffre" par exemple, je l'ai fait sérieusement comme mon premier film. Tout le monde a pris ça pour une boutade parce que ce film arrivait après "Camille Claudel", mais c'était mon premier film, celui que j'aurais aimé faire au début des années 70, même si à l'époque la musique aurait été différente et la forme des choses aussi. Je l'ai peut-être fait trente ans trop tard !
Et j'ai peut-être fait " Camille Claudel" vingt-cinq ans trop tôt ! Celui-là aurait dû être mon dernier film ! J'ai réussi à faire un "classique", qui n'a d'ailleurs jamais vraiment été considéré comme tel, sauf peut-être par les américains. Alors que "Van Gogh" de Pialat, qui est au fond un film très moderne, est considéré comme un "classique".

Pour faire une parenthèse, cela aurait d'ailleurs été plus juste d'appeler le film "Dutronc" et que le film parle de Van Gogh !