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DAREJAN OMIRBAEV
Laconique attitude
Propos recueillis le 30 nov. 1998 à Paris
Par Bernard PAYEN et Julien CHASTANG
Traduction de Anna Harlé d'Ophove


Ce lundi 30 novembre 1998, un vent froid persistant venu de la steppe kazakh nous saisissait à la gorge. Rendez-vous fut pris avec Darejan Omirbaev, cinéaste flegmatique, rigoureux, et mutique de réputation, dans un hôtel proche de la place de l'Odéon à Paris. Après plus d'une heure d'entretien, nous conservons l'image d'un homme affable, timide et déconcertant, aimant les phrases brèves et les citations bien senties.


Objectif Cinéma : J'ai l'impression que Frappe au portail, la nouvelle de Kafka qui vous avait notamment inspiré la genèse de Kaïrat pourrait également servir pour votre nouveau film Tueur à gages...

Darejan Omirbaev : C 'est fort possible. Anna Akhmatova, une très grande poétesse russe, a dit un jour : " tout ce qui se passe ici-bas a déjà été décrit par Kafka ". J'ai longuement réfléchi à cette citation : pourquoi est-elle tellement juste, pourquoi tout ce que décrit Kafka est si juste ? Je pense que c'est parce qu'il s'attachait beaucoup aux détails. Parfois, chez Kafka, un seul regard peut suffire pour nous rendre heureux ou malheureux. Si on décrivait ce fauteuil, il s'agirait bien de ce fauteuil et non de cette table, mais quand on regarde au plus profond des choses, le fauteuil et la table sont composés d'atomes. C'est en allant au fond des choses qu'on peut révéler leur essence.

Objectif Cinéma : Vous appliquez ce principe à votre film ?

Darejan Omirbaev : Oui, je serais heureux si je pouvais dire que je lai réalisé.

Objectif Cinéma : Dans vos films, ce sont souvent ce qu'on appelle " les moments creux " de la narration qui nous apprennent le plus de choses sur les personnages...

Darejan Omirbaev : Je serais heureux si je pouvais réaliser cela, il est difficile pour un auteur d'analyser sa propre œuvre, mais je tends effectivement à obtenir cela. C'est Tarkovski qui a dit " le vrai cinéma commence là où en apparence il ne se passe rien ".

Objectif Cinéma : Dans Tueur à gages, vous ne filmez pas de confrontations physiques : les scènes de bagarres sont éludées par exemple. Est-ce par peur du cliché cinématographique ou par volonté paradoxale de montrer l'importance de ces scènes en ne les montrant pas ?

Darejan Omirbaev : La bagarre existe bien dans le film mais on ne la montre pas. Le spectateur devient en quelque sorte co-auteur de l'œuvre qu'il est en train de voir. C'est à lui d'imaginer la scène. Le spectateur devient le complice de l'auteur et savoure les mêmes plaisirs que lui, au moment où il a fait le film. C'est un plaisir différent de celui qu'on peut éprouver quand on regarde des images toutes faites. Regarder un match de foot procure un plaisir différent de celui qu'on peut ressentir en jouant soi-même au football.