Objectif Cinéma :
Vos deux films essaient de surprendre
par l'image, d'une manière différente
Christophe Otzenberger :
Au lieu de poser les questions attendues à ses interviewés,
il leur montre un petit film et moi plutôt que de
poser des questions sur les nouvelles culottes de chez Renoma,
je leur dis qu'il y a une personne qui va mourir de faim
et de froid. C'est à mon sens la seule chose assimilable.
Je ne suis pas certain que les deux films concourent dans
la même catégorie. Je ne suis pas un vengeur
masqué, tandis que lui avance comme Zorro (rire).
Objectif Cinéma : Une
chose m'avait choqué dans le film lorsque tu interroges
la petite fille noire. Elle est très sincère
dans sa condamnation et sa peur de la misère. A ce
moment, un vendeur de La Rue arrive et tu lui dis "
tu vois, lui est sdf ". A cet instant, le visage de
la fille se décompose et j'ai eu le sentiment que
tu lui avais fait perdre la face. Pourquoi l'avoir confronté
à cela alors que manifestement elle était
sincère.
Christophe Otzenberger : En
aucun cas elle ne perd la face. Lorsque le plan-séquence
commence, je demande aux gamins pourquoi ils veulent être
filmés. Ils se mettent immédiatement à
parler des sdf, du chômage, tel quel, dans le même
plan. A la fin de cette séquence je leur montre un
homme obligé de vendre des journaux de rue pour vivre.
La môme redescend parce qu'elle a peur. Un : elle
a peur. Deux : elle est sensible. Elle !
Objectif Cinéma :
Crois-tu à une morale de
l'image ?
Christophe Otzenberger :
Oui, bien-sûr. Mais Yvette
Roudy, attirée par la caméra comme la mouche
par le serpentin, fait partie de ces gens qui sont filmés
à longueur de journée et sont contents d'être
filmés. Il y a, en outre, une kyrielle de députés
de province qui ne sont jamais passé à la
télévision et qui, lorsqu'ils voient une caméra,
frétillent à l'idée d'être filmés.
Je me moque de ce qu'ils disent, simplement je le filme.
Là où morale entre en jeu, c'est dans le cas
ou je filme les membres du comité des sans logis.
Dois-je les filmer saouls en train de dire des âneries,
comme ça peut arriver à tout le monde, ou
dois-je veiller à ne pas forcément les filmer
sous leur plus mauvais jour à partir du moment ou
ils peuvent être complètement désarçonnés
par la caméra. Bien évidemment oui. Un homme
politique sais ce qu'il fait, c'est un habitué de
l'image contrairement à la plupart des gens. Au début
de Fragments sur la misère, une fille me dit que
je suis dégueulasse de filmer. Elle a sans doute
raison mais en insistant je la pousse à réfléchir
et elle finit par me dire que cette misère la "
bouscule ". Quand les gens prennent le temps ils réfléchissent.
Je trouve dommage qu'un homme me réponde qu'il n'est
pas là pour faire de la politique. Pourquoi ne pas
me dire "c'est une question essentielle, êtes
vous sûr qu'on puisse en parler en deux minutes ?
". Personne ne me demande qui je suis pour poser des
questions dans la rue muni d'une caméra. Tout ce
que voient les gens c'est la présence d'une caméra
de télévision. Alors ils sont contents.
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