Entretien
réalisé le 3 Octobre 2000 à Paris
Par Nadia MEFLAH et Julien CHASTANG
Le cinéaste Lou Yee est né
à Shangaï en 1965. Il a étudié le
cinéma à Pékin puis travaillé comme
producteur et assistant réalisateur sur plusieurs longs-métrages,
tout en réalisant certains courts-métrages. Son
premier long-métrage Weekend lover (inédit en
France) date de 1994. Il remporte le prix Fassbinder. Lou Yee
retourne à la production et favorise la naissance de
Super City, un projet de dix longs-métrages mis en scène
par les meilleurs jeunes cinéastes chinois.
Une voix off d'un homme, caméra
au poing, sur la rivière Suzhou charriant l'humaine
humanité. Dès les premières images du
film, le principe s'énonce : la caméra ne montrera
que l'arbitraire du monde, parcellisé et retravaillé
à l'aune du désir de vie (de flux) du narrateur.
L'oscillation de la barque, enivrante et délétère,
fonctionnera comme leitmotiv formel du récit. Oscillation
entre le monde à saisir dans son cadre (la rue, les
toits des maisons, la fluidité des corps à pieds,
en vélo, en tramway) et la sourde nécessité
de trouver sa proie, la femme ? Du fantasme de la femme que
l'on aime dans le regard désirant d'un autre, Lou Yee
construit une mécanique réglée au hasard
(contrôlé) de la rencontre. Il semble nous inviter
à l'élaboration de son film, requérant
notre regard afin de l'aider à choisir celle qui s'incarnera
dans une légende d'amour. Ainsi, la femme comme ébranlement
du monde, celle par qui l'homme sans cesse ne cessera de filmer
pour la capter et par là-même accéder
au monde. Alors que Chantal Akerman impose un monde traversé
de fureur dans son film splendide " La Captive ",
Lou Yee plus intellectuellement (sa limite) délimite
un pré-carré parfois laborieux de mise en abyme
du fantasme de la femme.
Tou est double au pays de Lou Yee, le
récit a besoin d'une autre histoire pour tenir debout,
le narrateur a besoin des autres pour se dire vivant. La
vampirisation vocale aspire et extirpe du flot quotidien
deux être Moudain et Mardar, deux anonymes furtivement
perçus dans les rues de Shangaï. Tout deux ont
la charge écrasante d'incarner un amour impossible,
mis en exergue du film (une femme raconte à un homme
comme un défi la folle histoire d'amour de Mardar
poursuivant à travers le monde sa bien aimée).
Ce qui freine l'adhésion sensible au postulat ainsi
énoncé est le procès insinueux que
semble vouloir faire subir à l'imaginaire le "
réel " du narrateur. Comme si la fiction, les
personnages avaient à rendre compte d'une quelconque
solution du monde soluble dans un temps réglementaire.
Le film semble peiner parfois à concilier ces deux
mondes à l'intérieur même de son cadre,
Moudan et Mardar nous invitent plus au monde que les préoccupations
un tantinet sentencieuses du narrateur et de sa femme Meimei,
envers sexy de Moudan l'amante fidèle. Il y a dans
le film comme un combat entre ce qui serait des hommes (le
contingent, la réalité des sentiments, le
cinéma) et les femmes toujours insaisissables ou
bien noyées sous les eaux voire dans le bocal en
sirène de paillette. De ce déséquilibre,
le cinéaste rate la rencontre, le film ne coule pas
de source. Dommage.