Objectif Cinéma : Comment
est né le projet de La Chambre obscure ?
Marie-Christine Questerbert :
Je suis partie en Italie, il y a
quelques années pour approfondir l'écriture
de scénario, et je me suis rendue compte, en cherchant
bien, que le cinéma italien avait une sorte de "matrice"
: l'écrivain Boccace. Il a rassemblé des récits
qu'on entendait dans tous les pays de la Méditerranée,
a mélangé différents courants, pour
ensuite écrire Le Décaméron.
Tous les petits modèles dramatiques utilisés
dans le cinéma italien sont présents, en germe,
dans cette oeuvre. Un jour, je suis arrivée par hasard
dans le village natal de Boccace. Et là, mécaniquement
et presque magiquement aussi, je me suis aperçue
que sa maison existait toujours. J'ai frappé à
la porte et une vieille dame, fardée, simplette,
m'a ouvert et m'a dit qu'il y existait maintenant un petit
musée. Je suis entrée, j'ai visité
l'étage et en ouvrant Le Décaméron
au hasard, je suis tombé sur ce petit conte Le
Mari retrouvé. J'ai été frappée
par l'anachronisme et la modernité du personnage
féminin. J'ai eu alors envie de transposer cette
nouvelle au cinéma, tout en craignant un peu le travail
de l'adaptation : c'est toujours plus difficile de développer
trois pages que de résumer 300 pages ! Il y avait
en outre une multitude de thèmes à traiter
qui n'étaient pas sans difficultés. A partir
de là, je me suis demandée vers quelles inspirations
j'allais me tourner En regardant vers Florence, je me tournais
vers Giotto, cela voulait dire aussi qu'il fallait se définir
par rapport au Décaméron de Pasolini.
Et si je regardais vers Sienne, ça risquait de devenir
plus contemporain. A Sienne, c'est une peinture plus gothique.
Giotto amenait le volume, cherchait déjà une
profondeur alors que les Siennois étaient toujours
influencés par la miniature française et ressentaient
encore l'influence byzantine. J'ai finalement choisi la
peinture siennoise, plus graphique, plus proche de nous.
Objectif Cinéma : Vous
avez travaillé sur les aplats ?
Marie-Christine Questerbert : Je
me suis demandée comment créer une profondeur
avec des à-plats. Et surtout comment faire du cinéma
avec ça. Comment se repositionner dans un espace-temps
similaire. L'histoire de ce film, c'est un peu l'histoire
d'un regard dans le rétroviseur, mais un regard à
partir d'aujourd'hui. Il a fallu apprendre à regarder
comment les gens se voyaient à cette période,
quel était le regard qu'ils portaient sur le monde
à ce moment-là, avant l'apparition de la peinture
à l'huile.
Objectif Cinéma : Comment
avez-vous procédé ?
Marie-Christine Questerbert : Je
ne cherchais pas au départ à accumuler des
documents. J'ai été amenée progressivement
à faire un feuilletage pour voir comment j'allais
situer le film géographiquement, je me suis intéressée
plus précisément à l'histoire de l'art,
et j'ai dû prendre ensuite des décisions. Au
départ, j'avais vu cette peinture siennoise, cette
fresque, une approche différente de l'icône.
Après il fallait savoir jusqu'où je pouvais
aller. Il fallait faire des incursions dans l'époque,
savoir quel était le cheminement de ces images, d'où
venaient-elles... Il a fallu se créer des limites.