Objectif Cinéma : Vous
aviez peut-être aussi en tête les films de Rohmer,
de Pasolini et de Bresson.
Marie-Christine Questerbert : Je
suis allée voir Lancelot de Bresson à
la Cinémathèque, sur une table de montage.
J'ai vu Perceval de Rohmer. Les deux directions prises
par les deux films sont complémentaires. Le film
de Bresson est plus physique, plus élémentaire,
il donne une traduction moderne en décors naturels
de Lancelot alors que la direction prise par Rohmer est
celle d'un grammairien, c'est avant tout un texte. Je trouve
remarquable le fait qu'il ait intégré le commentaire
dans le dialogue et aussi son parti-pris de tout tourner
en studio. Ces deux films sont aussi passionnants l'un que
l'autre.
Objectif Cinéma :
Si je vous posais la question, c'est
parce que j'ai l'impression qu'en faisant ce film, vous
avez trouvé une troisième voie. Est-ce qu'au
départ, trouver le style d'un film, à tous
les niveaux, n'est-il pas le plus difficile ? Quelles ont
été les difficultés, quel a été
le cheminement ?
Marie-Christine Questerbert :
Il y a eu une sorte de décantation.
Le film s'est tout le temps radicalisé. Les sources
m'ont permis de le faire : je suis remontée des retables
vers la miniature qui est quand même une espèce
de "série B". Je ne suis pas allée
forcément vers des chefs-d'uvre. En analysant
pleins de documents, j'ai retiré des principes simples
sur les volumes, les couleurs. Je voulais travailler aussi
les clair-obscurs. Ceux-ci se sont beaucoup développés
après la Renaissance, quand la lumière a été
travaillée de manière naturaliste. C'était
intéressant de se demander comment le clair-obscur
était traduit avant la coupure de la Renaissance.
Je me suis aussi tournée vers Dreyer et j'ai découvert
qu'il s'était référé au peintre
Hammershoi qui a beaucoup travaillé les clairs-obscurs,
les gris, et les teintes sourdes. Il a travaillé
les lignes, comment la lumière entrait dans les pièces.
Si on regarde la peinture d'Hammershoi, on est frappé
de voir les similitudes avec l'uvre du cinéaste.
J'avais toujours des sources et des citations qui me permettaient
de trouver des solutions à mes problèmes.
Ces recherches m'ont permis de tenir le coup parce que la
décision de production n'a pas été
donnée tout de suite. Chaque producteur intéressé
y voyait un film différent.
 |
|
|
|
Objectif Cinéma :
Justement, quelle a été la difficulté
principale rencontrée pour convaincre un producteur
?
Marie-Christine Questerbert :
C'était un premier film en
costumes. Et il y a une vision du film en costumes assez
terrible en France. Ne serait-ce que cette idée d'inspiration
qui véhicule une imagerie assez réductrice
du travail de recherche. Il s'agissait de transmettre des
codes. Sur ces images (Marie-Christine Questerbert nous
tend des miniatures issues de son classeur), vous remarquez
différents motifs : les espaces sacrés sont
ronds, les espaces domestiques sont carrés ou rectangulaires.
De même, la tour symbolise le lieu social, on comprend
tout de suite que l'on est chez les nobles. Lorsque je montrais
cela aux producteurs, ils étaient terrorisés,
car cela signifiait tourner en studio.
Objectif Cinéma :
Cela faisait peur aux producteurs ?
Marie-Christine Questerbert :
Oui, mais le scénario leur
plaisait beaucoup aussi. J'ai essayé de faire en
sorte qu'il soit excitant et jubilatoire, qu'on soit dans
une comédie loufoque à la Mc Carey, je voulais
régler la question du scénario pour aboutir
à la question du traitement, qui me passionnait.
Il fallait que ce scénario donne suffisamment envie,
qu'il soit lèger pour avoir ensuite moins de problèmes
pour faire ce que je voulais faire. Je souhaitais par exemple
aller en studio à un moment du tournage pour avoir
la possibilité de ne pas être dans le réalisme.
Cela me donnait l'occasion de traiter le studio d'une manière
moderne. Je ne voulais pas y refaire Les Visiteurs du
soir. La question était de savoir comment on
pouvait tourner en studio aujourd'hui. Mais les producteurs
n'étaient pas très chauds pour y aller. La
scripte m'avait parlé des studios de cinéma
luxembourgeois où avait tourné Greenaway,
tout en me prévenant qu'ils étaient bas de
plafond. Moi au contraire, cela ne me dérangeait
pas ! J'ai donc fini par amarrer financièrement un
producteur luxembourgeois. Dans la construction des décors,
j'ai voulu mélanger la peinture siennoise (pas de
quatrième mur, etc) et des parties plus réalistes
de studio. Le seul fait d'introduire des éléments
hétérogènes venues de la peinture feraient
que tout ne serait pas automatiquement réaliste,
que tout basculerait. C'était le principe du film.
Un ou deux éléments qui viennent travailler
l'image. Le budget du film était serré et
en cherchant les bases, j'étais obligé de
travailler dans la raréfaction des moyens. Ce qui
m'amenait à des solutions modernes. Par exemple,
sur cette image très simplifiée et médiévale,
je ne garde pour le décor que le fond donnant un
effet d'optique et ce bout de rideau, avec toujours le personnage
devant