Objectif Cinéma :
Vous retrouviez le cinéma
muet dans ses formes primitives, tout comme l'impureté.
Marie-Christine Questerbert : C'est
vrai, car je choisissais toujours ces solutions de simplification
Le rideau me ramenait du côté du cinéma
muet et du théâtre. En ce qui concerne l'impureté,
je n'avais pas le choix et tant mieux, car je devais retrouver
l'ancien en allant voir ailleurs. Ainsi, en cherchant les
tissus, j'ai constaté que seuls les Africains ont
conservé les motifs et les reliefs dans les tissus.
Ici, on les trouve seulement dans la haute couture et dans
ce cas-là, il faut le faire faire à l'étranger.
Je suis donc passée par l'Afrique pour les tissu
bleus. J'aime cette idée, car je retrouvais le Moyen-Age
où tout était mélangé. La
Chambre Obscure est un film international par ses constituants.
Objectif Cinéma : A
Cannes, vous n'étiez pas très contente par
rapport aux tentures présentes dans les scènes
avec le Roi. Vous disiez votre crainte du kitsch.
Marie-Christine Questerbert :
J'étais un peu furieuse sur
le décor parce que je ne voulais absolument pas être
identifiée comme kitsch pour ce film-là. Pourtant,
il n'y en a pas. Au contraire même, car le film offre
à voir une modernité quasi abstraite, notamment
dans toutes les séquences au château. On a
dû être très rigoureux pour sélectionner
les tissus, les décors. Je n'avais pas le choix.
Il fallait trouver en outre rapidement des solutions dans
un temps de tournage aussi court et un budget aussi bas.
Pour la tente de Bertrand (Melvil Poupaud), en Italie, je
ne pouvais pas me permettre d'avoir un campement avec des
centaines de tentes, toutes très riches.
Je me disais que seules trois suffiraient,
on relèverait les pans, et ce, pour toujours aller
à la simplicité. J'avais sélectionné
toutes sortes de solutions pour chaque cas de figure. Je
vous montre cette image où vous avez ces têtes
qui sortent des fenêtres. Elle me servait pour toute
la partie en Italie avec Thomas (Mathieu Demy) où
les têtes sont aussi grosses que les ouvertures, j'avais
à re-dimensionner les corps. De même pour le
Roi (Jackie Berroyer) je suis partie de cette image avec
ces bleus, ce fond et ce rideau.
Objectif Cinéma :
Et le fauteuil du Roi où
seul le spectateur est témoin d'une cachette où
se niche un verre de vin, au dos du siège : vous
l'aviez trouvé dans une miniature d'époque
?
Marie-Christine Questerbert :
Non, je l'avais fait faire, car cela m'amusait de donner
à Jackie Berroyer cette dimension du roi nu.
Objectif Cinéma :
Vous avez eu combien de jours de
tournage ?
Marie-Christine Questerbert :
7 semaines moins trois jours et moins
de 10 millions de francs.
Objectif Cinéma :
Il y a dans le film une contemporanéité par
rapport aux tissus et aux objets, mais aussi un décalage.
Le film se situe hors-temps et pourtant il fait écho.
Marie-Christine Questerbert :
Il y a un effet d'étrangeté
effectivement. Il y a un fantastique voulu mais tout est
littéral, il n'y a pas d'emphatisation, pas de rhétorique.
Commençons par le début et l'arbre généalogique.
Il situe le film à cette coupure du XIVème
siècle, qui est lui-même le siècle de
la bascule entre le médiéval et le renaissant.
Pour moi, deux peintres synthétisent cet effet de
bascule, il y a Van Eyck ( pour la peinture à l'huile)
et Fra Angelico ( pour la fresque). On voit bien chez Van
Eyck que le paysage, les personnages sont byzantins, et
les ciels renaissants. Chez Fra Angelico, on voit bien le
mélange du gothique et du renaissant aussi. Dans
cette petite miniature qui ouvre le film, ils sont dans
deux espaces. L'arbre est en à-plat et le paysage
en dessous en trois dimensions. Je voulais qu'Aliénor
se détache progressivement de ce fond, puis on a
ensuite la petite fille, ici-bas. On applique littéralement
le moment du début et elle tombe sous un marronnier.
J'ai voulu un traitement de conte pour le début parce
que pour moi, l'enfance est dans le conte : un petit peu
dans le familier (avec le père) et dans le fantastique
( la mort, la médecine).