Entretien
réalisé à Paris le 6 février
2001
Par Nadia MEFLAH et Bernard PAYEN
Photos de David LOMBOURG
Martine Dugowson, à quarante
ans, témoigne d'un parcours rigoureux. Après avoir
suivi un cursus universitaire en lettres, elle devient élève
de l'IDHEC (ex-Fémis) de 1980 à 1983 dans la section
prise de vue et réalisation. Elle réalise durant
ce temps d'apprentissage et d'expérimentation plusieurs
courts-métrages ("A bout de nerf" en 81, "Les
cactus" en 82, et un long-métrage de fiction en
1983 "Circuit fermé". Ensuite, elle réalise
"En faisant le ménage", "j'ai retrouvé
Albert" en 1986. Pensionnaire de la Villa Médicis
où elle reçoit le Grand Prix du Scénario
pour "Mina Tannenbaum" en 1992, il faudra attendre
1993 pour que la cinéaste soit reconnue du grand public
et obtienne un succès médiatique et public. Ce
récit d'une amitié forte entre deux jeunes femmes
(Elsa Zylberstein révélée dans le film
sublime de Maurice Pialat "Van Gogh" et Romane Bohringer)
est ce qui reste dans les mémoires du spectateur d'aujourd'hui.
"Portraits Chinois" (1996) son second long-métrage,
passera presque inaperçu tant il fut si peu soutenu par
la critique et ne rencontra guère son public. En outre,
la cinéaste a travaillé en tant que cadreuse,
chef opérateur et scénariste sur différents
films.
CE QUI FAIT LIEN
Objectif Cinéma :Comment
est né le film Les fantômes de Louba ?
Martine Dugowson :Cela
vient d'un désir de faire le portrait de quelqu'un
qui serait né après la guerre. Il aurait vécu
la transmission sans avoir été lui-même
témoin de cette époque. Il s'agirait de ressentir
un malaise d'une histoire familiale, au sein d'une société
laïque, avec la mémoire de ce génocide
de la seconde guerre mondiale en France. Une histoire sur
ce poids-là. Je pensais à ces enfants issus
de parents qui avaient vécu cette guerre, et qui
ont transmis à leurs enfants par la parole ou le
silence un psychisme particulier. Je ne dirais pas qu'ils
ne sont pas intégrés, mais ces personnes vivent
dans un décalage par rapport à la société
française. C'est une histoire discordante par rapport
à celle véhiculée à l'école
ou dans les familles. Je viens d'une famille dont de nombreux
membres ont été assassinés durant la
seconde guerre mondiale. Adolescente, je vivais dans un
quartier juif, j'allais au lycée Lamartine et je
croisais des personnes qui avaient la même histoire.
Mais aussi d'autres personnes rencontrées au fur
et à mesure de ma vie, qui semblaient toutes avoir
une difficulté à se positionner en tant que
Juif et Juif Français. Un sentiment de malaise de
rester malgré tout dans ce que je nomme un ghetto
de sensibilité. Une sensibilité non partagée
par la communauté du pays. Une sensibilité
enfermée dans une impossibilité de la faire
comprendre.