Objectif Cinéma :
Là où votre film sort
de ce ghetto de sensibilité, pour reprendre vos termes,
c'est dans le personnage de Louba, enfant sauvage digne
de Truffaut. Où vous filmez au plus près du
souffle de l'adolescence, dans la fragilité de la
peau, d'une identité nerveuse pour dire la transmission
d'un corps singulier et romanesque.
Martine Dugowson : L'idée
de la transmission était déjà présente
à l'écriture du scénario, du passage
entre deux histoires particulières et de ce que l'on
transmet aux enfants. Dans la première partie du
film, il y a deux jeunes filles, Louba et Jeannie, en manque
de transmission, chacune avec une histoire différente.
Celle extrême de Louba, car c'est une histoire juive
très difficile à communiquer, sur ce que ces
ancêtres ont vécu, où la transmission
est presque impossible. Cela concerne en fait tous ceux
qui ont du mal à accéder à une identité
claire avec des racines définies. Le film parle aussi
de ce que l' on transmet à un enfant, et comment
il doit s'en arracher pour échapper aux difficultés
familiales et historiques. C'est l'histoire d'Alexandre,
l'autre enfant, dans la seconde partie du récit.
Le film se termine par cette phrase où Louba lui
dit de sortir de la photo. Elle lui demande d'échapper
au poids de la fatalité et des maladies familiales.
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Objectif Cinéma :
Il y a aussi cette blessure première
que vit Louba, une histoire de trahison lorsque Jeannie
lui tend un piège. Ce sera le moteur de la seconde
partie de votre film.
Martine Dugowson : J'ai
pris un personnage en trouble d'identité. Louba n'a
pas de sentiment identitaire fort. Au moment où elle
pourrait s'ouvrir dans cette campagne, au milieu de cette
famille d'accueil, et peut-être vivre un amour avec
ce jeune Charlie, elle subit un bizutage cruel de la part
de Jeannie. A partir de ce moment-là tout ce qui
pouvait être une possibilité d'ouverture, où
du moins revenir à une normalité, éclate
en morceau. Louba est pris dans un trouble presque psychiatrique.
Elle ne sait pas qui elle est en tant que femme, elle n'a
plus de repère social et familial ni de moyen d'identification.
De même Jeannie adulte est en faille identitaire.
Une femme en manque d'amour. Elle ne peut jouer que des
rôles : celle de l'épouse, de la mère
de famille. Ce n'est pas la même histoire, car autant
Jeannie est pris dans un désir d'oubli et d'amnésie,
à ne pas vouloir voir les choses, autant Louba est
dans un trop plein de mémoire paralysante, lui enlevant
l'innocence nécessaire à vivre simplement.
Objectif Cinéma :
Ce qui me trouble, c' est que Louba
enfant a finalement une maturité d'adulte alors que
Louba adulte paraît enfantine et innocente. Ce qui
lui permet d'ailleurs de communiquer avec Alexandre.
Martine Dugowson : Louba
reste une enfant d'une certaine manière. Effectivement,
elle ne grandit pas, elle ne rentre pas dans des rôles
et n'arrive pas à avoir des processus d'identité
ni sexuelles, ni sociales.