Objectif Cinéma :
La sexualité de Louba est
assez terrifiante, Jeannie lui dénie son sexe lors
de cette nuit de " bizutage " avec l'enjeu de
la virginité entre elles. Adulte, lorsqu'enfin Louba
retrouve Charlie, vous filmez leurs scènes d'amour
très justement, en montrant le caractère pathétique
et risible de son fantasme d'adolescente.
Martine Dugowson : Il
y a un ratage complet, car Louba est restée cristallisée
sur cet amour d'enfance, une image qui quinze ans plus tard
se vit comme un romantisme de pacotille. Elle-même
se sent décalée, ailleurs lors de cette situation.
Mais elle va quand même jusqu'au bout, car c'est son
amour d'adolescence. Il est détruit d'une certaine
façon. Cette image est détruite.
Objectif Cinéma :
Louba dit répéter
sa vie à l'infini. Comme le défilement d'un
film projeté à l'infini ?
Martine Dugowson : Il
y a des choses sur lesquelles il est difficile de donner
des explications. Dès le début du film, le
personnage est en train de mourir et il repasse son film
avec ce sentiment d'être tout le temps dans ce temps
de la mort à revoir sa vie, comme dans un système
de poupée Russe.
Objectif Cinéma :
D'où vient Alexandre ? Ce
jeune enfant est assez impressionnant dans son jeu. Comment
l'avez-vous trouvé ?
Martine Dugowson : Il
n'a jamais fait de théâtre ni ce cinéma.
Les Fantômes de Louba est son premier film. Il avait
six ans lors du tournage (été 1999) et il
avait très envie de jouer. Il s'avère qu'il
était un peu concerné par l' histoire, car
il est de mère juive, ce que je ne savais pas du
tout. Sa mère lui a donc expliqué des choses
par rapport à l'histoire du film. Il avait un désir
très profond de jouer. Pour quelle raison ? Je ne
sais pas quel était le moteur de son désir.
Il voulait jouer comme un acteur adulte et non pas comme
un enfant. De se mettre effectivement dans des états
assez forts. Il y a des scènes où il pleure.
On lui racontait des choses tristes, certes pour filmer,
mais il faisait aussi monter en lui l'émotion comme
un acteur adulte aurait pu le faire. Alexandre est l'amour
de Louba et c'est presque le seul amour réel qu'elle
ait dans le film. Je dirais qu'il y a Jeannie adulte, un
personnage amoureux qu'interprète Camille Japy, et
un personnage d' enfant blessé, Louba joué
par Elsa Zylberstein, devenant une mère, certes un
peu tordue, et qui, auprès de cet enfant, découvre
ce qu'on ne lui a pas donné et ce dont elle peut
lui donner à son tour. C'est un film sur le souvenir
des enfants, car le générique s'ouvre sur
des enfants déportés. Lorsque Louba rentre
dans le square avec Alexandre, elle pense à d'autres
enfants que ceux qui y jouent. Le film est marqué
par ce sentiment de protection, comment protéger
l'enfance des plaies et des traumatismes que des adultes
portent en eux et qu'ils peuvent à leur tour reporter
sur leurs enfants. Jeannie est enfermée dans une
négation d'amour ; elle ne peut donner de l'affection
à son fils comme elle-même enfant n'a pu en
recevoir de ses propres parents. Les choses se rejouent
et se dupliquent. Elle revit l'histoire de sa mère,
elle est prise dans une répétition et un cercle
et Alexandre avec sa mère, certes présente,
vit l'abandon. Un des thèmes du film est justement
de savoir comment on peut épargner cette enfance
et faire en sorte que l'enfant puisse échapper à
la lourdeur de ces blessures.